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hostile à mon être, je me retirais toujours plus consciemment et décidément, sans pouvoir rompre cependant tous les liens qui m’y rattachaient, étant donné ma situation d’artiste et d’homme dépourvu de ressources. Je fuyais les êtres humains, parce que leur contact m’était douloureux ; avec une intention persévérante, je recherchais la solitude et la vie retirée et, par contre, je nourrissais, avec une intensité croissante, le désir de trouver en un seul cœur, en une individualité donnée, le port de refuge, le hâvre de délivrance, où je fusse accueilli sans réserves. Conformément à la nature du monde, ce ne pouvait être qu’une femme aimante : même sans la découvrir, ceci devait être clair pour mon regard intuitif de poète, et les plus nobles tentatives n’avaient pu que me démontrer l’impossibilité d’atteindre mon but dans l’amitié d’un homme. Mais jamais je n’ai cru que je trouverais le bonheur aussi complet, l’apaisement aussi absolu qu’auprès de toi. Encore une fois, je le répète : tu as eu le courage de te précipiter dans toutes les souffrances possibles du monde pour pouvoir me dire « Je t’aime ! » Ce fut ma délivrance ; de là me vint ce calme sacré, qui attribua à ma vie une signification nouvelle… Mais ce but divin ne pouvait être atteint qu’au prix de toutes les souffrances, de toutes les angoisses de l’amour : nous avons vidé le calice jusqu’à la lie !… Et maintenant

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