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du grand Mogol.

de bonne grace ſes liberalites. Il étoit ſecret, ruſe et diſſimulé au poſſible, jusques-là qu’il fit long-temps comme profeſſion d’etre Fakire, c’eſt à dire pauvre, Derviche, ou Devot, qui a renoncé au monde, feignant de n’avoir aucune prétention à la Couronne, mais ſeulement de vouloir doucement paſſer ſa vie dans la prière & dans la devotion. Cependant il ne laiſſait pas de faire ſes brigues à la Cour, principalement lors qu’il ſe vit Vice-Roi du Decan, mais il les faiſoit avec tant d’adreſſe & de ſecret, qu’à peine s’en pouvoit-on appercevoir. Il ſçavoit même encore s’entetenir dans l’amitié de Chah-Jehan ſon pere, qui, bien qu’il eut beaucoup d’affection pour Dara, ne pouvoit neanmoins s’empêcher de témoigner qu’il eſtimoit Aureng-Zebe, & qu’il le croyoit capable de regner, ce qui donnoit aſſez de jalouſie à Dara qui s’en apperceut, & qui même ne put s’empêcher de dire quelquefois en particulier à ſes amis : De tous mes freres je n’apprehende que ce Nemazi, comme qui diroit ce Bigot, ce grand faiſeur d’oraiſon.

Morad-Bakche, qui étoit le plus jeune de tous, étoit auſſi le moins adroit

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