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plupart des Voyageurs qui se disent Naturalistes, c’est de recueillir des curiosités ; ils marchent ou plutôt ils rampent, les yeux fixés sur la terre, ramassant çà & là de petits morceaux, sans viser à des observations générales. Ils ressemblent à un Antiquaire qui grateroit la terre à Rome, au milieu du Panthéon ou du Colisée, pour y chercher des fragmens de verre coloré, sans jetter les yeux sur l’architecture de ces superbes édifices. Ce n’est point que je conseille de négliger les observations de détail ; je les regarde au contraire, comme l’unique base d’une connoissance solide ; mais je voudrois qu’en observant ces détails, on ne perdit jamais de vue les grandes masses & les ensembles ; & que la connoissance des grands objets & de leurs rapports fut toujours le but que l’on se proposât en étudiant leurs petites parties.

Mais pour observer ces ensembles, il ne faut pas se contenter de suivre les grands chemins, qui serpentent presque toujours dans le fond des vallées, & qui ne traversent les chaînes de montagnes que par les gorges les plus basses : il faut quitter les routes battues & gravir sur des sommités élevées d’où l’œil puisse embrasser à la fois une multitude d’objets. Ces excursions sont pénibles, je l’avoue ; il faut renoncer aux voitures, aux chevaux mêmes, supporter de grandes fatigues, & s’exposer quelquefois à d’assez grands dangers. Souvent le Naturaliste, tout près de parvenir à une sommité qu’il desire vivement d’atteindre, doute encore si ses forces épuisées lui suffi-