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d’une cabane ; & là après quelques questions sur les motifs de mon voyage, j’ai été reçu avec une honnêteté, une cordialité, & un désintéressement dont on auroit peine à trouver ailleurs des exemples. Et croiroit-on que dans ces sauvages retraites, j’ai trouvé des penseurs, des Hommes, qui par la seule force de leur raison naturelle, se sont élevés fort au dessus des superstitions, dont s’abreuve avec tant d’avidité le petit peuple des villes ?

Tels sont les plaisirs que goûtent dans les montagnes ceux qui se livrent à leur étude. Pour moi j’ai eu pour elles, dès l’enfance, la passion la plus décidée ; je me rappelle encore le saisissement que j’éprouvai la premiere fois que mes mains toucherent le rocher de Saleve & que mes yeux jouirent de ses points de vue. À l’âge de 18 ans (en 1758), j’avois déja parcouru plusieurs fois les montagnes les plus voisines de Geneve. L’année suivante j’allai passer quinze jours dans un des chalets les plus élevés du Jura, pour visiter avec soin la Dole & les montagnes des environs ; & la même année, je montai sur le Môle pour la premiere fois. Mais ces montagnes peu élevées ne satisfaisoient qu’imparfaitement ma curiosité ; je brûlois du desir de voir de près les hautes Alpes, qui du sommet de ces montagnes, paroissent si majestueuses ; enfin en 1760 j’allai seul & à pied visiter les Glaciers de Chamouni, peu fréquentés alors, & dont l’accès passoit même pour difficile & dangereux. J’y retournai l’année suivante, & dès lors je n’ai