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vivent loin de la terre, ils se regardent comme indépendans: il parlent souvent des princes, des lois et de la religion, avec une liberté égale à leur ignorance. Ce n'est pas que, suivant les circonstances, ils ne soient dévots, même superstitieux. J'en ai connu plus d'un qui n'aurait pas voulu appareiller un dimanche ou un vendredi. En général, leur religion dépend du temps qu'il fait.

L'oisiveté où ils vivent leur fait aimer la médisance et les contes. Le banc de quart est le lieu où les officiers débitent les fables et les merveilles.

L'habitude de faire sans cesse de nouvelles connaissances les rend inconstans dans leurs sociétés et dans leurs goûts: sur mer ils désirent la terre, à terre ils regrettent la mer.

Dans une longue traversée, il est prudent de se livrer peu et de ne disputer jamais. La mer aigrit naturellement l'humeur. La plus légère contestation y dégénère en querelle. J'en ai vu naître pour des questions de philosophie. Il est vrai que ces questions ont quelquefois brouillé des philosophes à terre.

En général ils sont taciturnes et sombres. Peut-on être gai au milieu des dangers, et privé des premiers besoins de la vie?

Il ne faut pas oublier leurs bonnes qualités. Ils sont francs, généreux, braves, et surtout bons