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me fit faire attention à tenir mes armes en meilleur état, en cas d'attaque des noirs marrons.

Je m'arrêtai sur la rive gauche de la troisième rivière, au bord de la mer, sur des plateaux de rochers ombragés par un veloutier. Mes noirs m'en firent une espèce de tente en jetant mon manteau dessus les branches. Ils me firent à dîner, et me pêchèrent quelques conques persiques et des oreilles-de-Midas.

A deux heures après dîner, je me mis en route, mon fusil en bon état et mes gens en bon ordre. Les surprises n'étaient point à craindre: la plaine est découverte et les bois assez éloignés. Le sentier était très-beau et sablé. Pour marcher plus à mon aise, et n'être pas obligé de me déchausser au passage de chaque rivière, je résolus de marcher nu-pieds comme les chasseurs du matin[1]. Cette façon d'aller est non seulement la plus naturelle, mais la plus sûre; le pied saisit comme une main les angles des rochers, Les noirs ont cette partie si exercée qu'ils s'en servent pour ramasser une épingle à terre. Ce n'est donc pas en

[Footnote 1: L'homme civilisé enferme son pied dans une chaussure; il est sujet aux cors que les nègres ne connaissent pas. De toutes les parties de son individu qu'il immole à son opinion, c'est sans doute le sacrice qui lui coûte le moins. On prétend même qu'il y a un plus grand inconvénient à porter perruque surtout lorsqu'on se fait raser la tête. On croit que cette opération est cause des apoplexies si fréquentes aujourd'hui, et qui étaient si rares chez les anciens. Je crois même que Pline, qui parle des maladies de son temps, ne fait pas mention de celle-là.]