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m'avançai vers eux, et je les reconnus pour des noirs de détachement, sorte de maréchaussée de l'île: ils s'arrêtèrent auprès de moi. L'un d'eux portait dans une calebasse deux petits chiens nouveaux-nés; un autre menait une femme attachée par le cou à une corde de jonc: c'était le butin qu'ils avaient fait sur un camp de noirs marrons qu'ils venaient de dissiper. Ils en avaient tué un, dont ils me montrèrent le gris-gri, espèce de talisman fait comme un chapelet. La négresse paraissait accablée de douleur. Je l'interrogeai; elle ne me répondit pas. Elle portait sur le dos un sac de vacoa. Je l'ouvris. Hélas! c'était une tête d'homme. Le beau paysage disparut, je ne vis plus qu'une terre abominable[1].

Mes compagnons me retrouvèrent comme je descendais par une pente difficile au bras de mer de la Savanne. Il était nuit, nous nous assîmes sous des arbres dans le fond de l'anse: on alluma des flambeaux, et on servit à souper.

On parla des noirs marrons; car ils avaient aussi rencontré le détachement où était cette malheureuse, qui portait peut-être la tête de son amant! M. Étienne nous dit qu'il y avait des troupes de deux et trois cents noirs fugitifs aux environs de Belle-Ombre, qu'ils élisaient un chef auquel ils obéissaient sous peine de la vie. Il leur est défendu de rien prendre dans les habitations

[Footnote 1: Cette femme appartenait à un habitant appelé M. de Laval.]