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estimable. D'un autre côté, on n'y aime point les gens méfians. Cela paraît se contredire; mais c'est qu'il n'y a rien à gagner avec des gens qui sont sur leurs gardes. Le méfiant déconcerte les fripons et les repousse. Ils se rassemblent auprès de l'homme fin: ils l'aident à faire des dupes.

On y est d'une insensibilité extrême pour tout ce qui fait le bonheur des âmes honnêtes. Nul goût pour les lettres et les arts. Les sentimens naturels y sont dépravés: on regrette la patrie à cause de l'Opéra et des filles; souvent ils sont éteints: j'étais un jour à l'enterrement d'un habitant considérable, où personne n'était affligé; j'entendis son beau-frère remarquer qu'on n'avait pas fait la fosse assez profonde.

Cette indifférence s'étend à tout ce qui les environne. Les rues et les cours ne sont ni pavées ni plantées d'arbres; les maisons sont des pavillons de bois, que l'on peut aisément transporter sur des rouleaux; il n'y a, aux fenêtres, ni vitres ni rideaux; à peine y trouve-t-on quelques mauvais meubles.

Les gens oisifs se rassemblent sur la place, à midi et au soir; là, on agiote, on médit, on calomnie. Il y a très-peu de gens mariés à la ville. Ceux qui ne sont pas riches, s'excusent sur la médiocrité de leur fortune: les autres veulent, disent-ils, s'établir en France; mais la facilité de trouver des concubines parmi les négresses, en