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On chantoit publiquement sur le théâtre de Rome, Post 215 mortem nihil est ; ipsaque mors nihil « Rien n’est après la mort ; la mort même n’est rien »14. Ces sentimens ne rendoient les hommes ni meilleurs ni pires ; tout se gouvernoit, tout alloit à l’ordinaire ; & les Titus, les Trajans, les Marc-Aureles gouvernérent la terre en Dieux bienfaisans.

220 Si nous passons des Grecs & des Romains aux nations Barbares, arrêtons-nous seulement aux Juifs. Tout superstitieux, tout cruel & tout ignorant qu’étoit ce misérable peuple, il honoroit cependant les Pharisiens qui admettoient la fatalité de la destinée & la métempsicose ; il 225 portoit aussi respect aux Saducéens, qui nioient absolument l’immortalité de l’ame & l’existence des Esprits, & qui se fondoient sur la loi de Moïse, laquelle n’avoit jamais parlé de peine ni de récompense après la mort. Les Esséniens, qui croyoient aussi la fatalité, & qui ne 230 sacrifioient jamais de victimes dans le Temple, étoient encore plus révérés que les Pharisiens & les Saducéens. Aucune de leurs opinions ne troubla jamais le gouvernement15. Il y avoit pourtant là de quoi s’égorger, se brûler, s’exterminer réciproquement, si on l’avait voulu. O 235 misérables hommes, profitez de ces exemples ! Pensez & laissez penser. C’est la consolation de nos faibles esprits dans cette courte vie. Quoi ! vous recevez avec politesse un Turc qui croit que Mahomet a voyagé dans la lune16 ; vous vous garderez bien de déplaire au Bacha Bonneval17, 240 & vous voudrez mettre en quartiers votre frere, parce qu’il croit que Dieu pourrait donner l’intelligence à toute créature ? » C’est ainsi que parla un des Philosophes ; un autre ajouta : « Croyez-moi, [il ne faut…] »

243. Le morceau se termine dans 48 (corr.)-K par les trois alinéas qui sont à la fin de la lettre XIII (l. 215 sqq.) ; on trouvera à cet endroit les variantes de 48 (corr.)-K. Voyez aussi la fin de l’appendice I (p. 202-203).