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excepté des Rôtisseurs & de ceux qui avoient des féves à vendre.

185 Les Stoïciens reconnaissoient un Dieu, à-peu-près tel que celui qui a été si témérairement admis depuis par les spinosistes10 ; le Stoïcisme cependant fut la Secte la plus féconde en vertus héroïques & la plus accréditée.

Les Épicuriens faisoient leurs dieux ressemblans à nos 190 Chanoines, dont l’indolent embonpoint soutient la divinité, & qui prennent en paix leur nectar & leur ambroisie en ne se mêlant de rien. Ces Épicuriens enseignoient hardiment la matérialité & la mortalité de l’ame. Ils n’en furent pas moins considérés. On les admettoit dans tous 195 les emplois, & leurs atômes crochus ne firent jamais aucun mal au monde11.

Les Platoniciens, à l’exemple des Gimnosophistes12 ne nous faisoient pas l’honneur de penser que Dieu eût daigné nous former lui-même. Il avoit, selon eux, laissé 200 ce soin à ses Officiers, à des Génies, qui firent dans leur besogne beaucoup de balourdises. Le Dieu des Platoniciens étoit un Ouvrier excellent, qui employa ici-bas des éléves assez médiocres13. Les hommes n’en révèrent pas moins l’école de Platon.

205 En un mot, chez les Grecs & chez les Romains, autant de Sectes, autant de maniéres de penser sur Dieu, sur l’ame, sur le passé, et sur l’avenir : aucune de ces Sectes ne fut persécutante. Toutes se trompoient, & nous en sommes bien fâchés ; mais toutes étoient paisibles, & 210 c’est ce qui nous confond ; c’est ce qui nous condamne ; c’est ce qui nous fait voir que la plupart des raisonneurs d’aujourd’hui sont des monstres, & que ceux de l’antiquité étoient des hommes.

190. 52-K leur [divinité] — 48 (corr.) un [indolent embonpoint] soutenoit leur [divinité], ils buvoient [en paix leur nectar] en ne

203. 48 (corr.), 52-K révérèrent

211. 48 (corr.) beaucoup de