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CHANT DEUXIÈME.




ARGUMENT.
Jeanne, armée par saint Denis, va trouver Charles VII à Tours ; ce qu’elle fit en chemin, et comment elle eut son brevet de pucelle.


C’Heureux cent fois qui trouve un pucelage !
C’est un grand bien ; mais de toucher un cœur
Est, à mon sens, un plus cher avantage.
Se voir aimé, c’est là le vrai bonheur.
Qu’importe, hélas ! d’arracher une fleur ?
C’est à l’amour à nous cueillir la rose.
De très-grands clercs ont gâté par leur glose
Un si beau texte ; ils ont cru faire voir
Que le plaisir n’est point dans le devoir.
Je veux contre eux faire un jour un beau livre :
J’enseignerai le grand art de bien vivre ;
Je montrerai qu’en réglant nos désirs,
C’est du devoir que viennent nos plaisirs.
Dans cette honnête et savante entreprise,
Du haut des cieux saint Denis m’aidera :
Je l’ai chanté, sa main me soutiendra.
En attendant, il faut que je vous dise
Quel fut l’effet de sa sainte entremise.
JeVers les confins du pays champenois,
Où cent poteaux, marqués de trois merlettes[1],
Disaient aux gens : « En Lorraine vous êtes, »
Est un vieux bourg peu fameux autrefois ;
Mais il mérite un grand nom dans l’histoire,
Car de lui vient le salut et la gloire

  1. Il y avait alors sur toutes les frontières de Lorraine des poteaux aux armes du duc, qui sont trois alérions ; ils ont été ôté en 1738. (Note de Voltaire, 1762.)