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POËME SUR LE DÉSASTRE DE LISBONNE.

Par son choix bienfaisant tout est déterminé :
Il est libre, il est juste, il n’est point implacable.
Pourquoi donc souffrons-nous sous un maître équitable[1] ?
Voilà le nœud fatal qu’il fallait délier.
Guérirez-vous nos maux en osant les nier ?
Tous les peuples, tremblant sous une main divine,
Du mal que vous niez ont cherché l’origine.
Si l’éternelle loi qui meut les éléments
Fait tomber les rochers sous les efforts des vents,
Si les chênes touffus par la foudre s’embrasent,
Ils ne ressentent point les coups qui les écrasent :
Mais je vis, mais je sens, mais mon cœur opprimé
Demande des secours au Dieu qui l’a formé.
Enfants du Tout-Puissant, mais nés dans la misère,
Nous étendons les mains vers notre commun père.
Le vase, on le sait bien, ne dit point au potier :
« Pourquoi suis-je si vil, si faible et si grossier ? »
Il n’a point la parole, il n’a point la pensée ;
Cette urne en se formant qui tombe fracassée,
De la main du potier ne reçut point un cœur
Qui désirât les biens et sentît son malheur.
« Ce malheur, dites-vous, est le bien d’un autre être. »
De mon corps tout sanglant mille insectes vont naître ;
Quand la mort met le comble aux maux que j’ai soufferts,
Le beau soulagement d’être mangé des vers !
Tristes calculateurs des misères humaines,
Ne me consolez point, vous aigrissez mes peines ;

    des premiers, et qui ne produisent rien. Les roues d’un carrosse servent à le faire marcher ; mais qu’elles fassent voler un peu plus ou un peu moins de poussière, le voyage se fait également. Tel est donc l’ordre général du monde que les chaînons de la chaîne ne seraient point dérangés par un peu plus ou un peu moins de matière, par un peu plus ou un peu moins d’irrégularité.

    La chaîne n’est pas dans un plein absolu ; il est démontré que les corps célestes font leurs révolutions dans l’espace non résistant. Tout l’espace n’est pas rempli. Il n’y a donc pas une suite de corps depuis un atome jusqu’à la plus reculée des étoiles ; il peut donc y avoir des intervalles immenses entre les êtres sensibles, comme entre les insensibles. On ne peut donc assurer que l’homme soit nécessairement placé dans un des chaînons attachés l’un à l’autre par une suite non interrompue. Tout est enchaîné ne veut dire autre chose sinon que tout est arrangé. Dieu est la cause et le maître de cet arrangement. Le Jupiter d’Homère était l’esclave des destins ; mais dans une philosophie plus épurée Dieu est le maître des destins. Voyez Clarke, Traité de l’existence de Dieu. (Note de Voltaire, 1756.)

  1. « Sub Deo justo nemo miser nisi mereatur. » Saint Augustin. (Id., 1756.)