Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
440
PRÉFACE.

chait pas ces louanges ne doivent surprendre personne ; elles n’avaient rien de la flatterie, elles partaient du cœur : ce n’est pas là de cet encens que l’intérêt prodigue à la puissance. L’homme de lettres pouvait ne pas mériter les éloges et les bontés dont le monarque le comblait ; mais le monarque méritait la vérité que l’homme de lettres lui disait dans cet ouvrage. Les changements survenus depuis dans un commerce si honorable pour la littérature n’ont point altéré les sentiments qu’il avait fait naître.

Enfin, puisqu’on a arraché au secret et à l’obscurité un écrit destiné à ne point paraître, il subsistera chez quelques sages comme un monument d’une correspondance philosophique qui ne devait point finir ; et l’on ajoute que si la faiblesse humaine se fait sentir partout, la vraie philosophie dompte toujours cette faiblesse.

Au reste, ce faible essai fut composé à l’occasion d’une petite brochure qui parut en ce temps-là. Elle était intitulée du Souverain Bien, et elle devait l’être du Souverain Mal. On y prétendait qu’il n’y a ni vertu ni vice, et que les remords sont une faiblesse d’éducation qu’il faut étouffer. L’auteur du poëme prétend que les remords nous sont aussi naturels que les autres affections de notre âme. Si la fougue d’une passion fait commettre une faute, la nature, rendue à elle-même, sent cette faute. La fille sauvage trouvée près de Châlons[1] avoua que, dans sa colère, elle avait donné à sa compagne un coup dont cette infortunée mourut entre ses bras. Dès qu’elle vit son sang couler, elle se repentit, elle pleura, elle étancha ce sang, elle mit des herbes sur la blessure. Ceux qui disent que ce retour d’humanité n’est qu’une branche de notre amour-propre font bien de l’honneur à l’amour-propre. Qu’on appelle la raison et les remords comme on voudra, ils existent, et ils sont les fondements de la loi naturelle.

  1. Voyez, dans les Œuvres de L. Racine, les Éclaircissements sur la fille sauvage dont il est parlé dans l’Épître II, sur l’homme.