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Elle a charmé le monde, et vous l’en punissez !
Non, ces bords désormais ne seront plus profanes ;
Ils contiennent ta cendre ; et ce triste tombeau,
Honoré par nos chants, consacré par tes mânes,
Est pour nous un temple nouveau !
Voilà mon Saint-Denis ; oui, c’est là que j’adore
Tes talents, ton esprit, tes grâces, tes appas :
Je les aimai vivants, je les encense encore
Malgré les horreurs du trépas,
Malgré l’erreur et les ingrats.
Que seuls de ce tombeau l’opprobre déshonore.
Ah ! verrai-je toujours ma faible nation.
Incertaine en ses vœux, flétrir ce qu’elle admire ;
Nos mœurs avec nos lois toujours se contredire ;
Et le Français volage endormi sous l’empire
De la superstition ?
Quoi ! n’est-ce donc qu’en Angleterre
Que les mortels osent penser ?
O rivale d’Athène, ô Londre ! heureuse terre !
Ainsi que les tyrans vous avez su chasser
Les préjugés honteux qui vous livraient la guerre.
C’est là qu’on sait tout dire, et tout récompenser ;
Nul art n’est méprisé, tout succès a sa gloire.
Le vainqueur de Tallard, le fils de la victoire.
Le sublime Dryden, et le sage Addison,
Et la charmante Ophils[1], et l’immortel Newton,
Ont part au temple de mémoire :
Et Lecouvreur à Londre aurait eu des tombeaux
Parmi les beaux-esprits, les rois, et les héros.
Quiconque a des talents à Londre est un grand homme.
L’abondance et la liberté
Ont, après deux mille ans, chez vous ressuscité
L’esprit de la Grèce et de Rome.
Des lauriers d’Apollon dans nos stériles champs
La feuille négligée est-elle donc flétrie ?
Dieux ! pourquoi mon pays n’est-il plus la patrie
Et de la gloire et des talents ?

  1. Anne Oldfield ou Oldfields, illustre actrice anglaise, morte le 23 octobre 1730, fut enterrée à l’abbaye de Westminster. (B)