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Jamais l’Amour ne forma rien de tel.
Imaginez de Flore la jeunesse,
La taille et l’air de la nymphe des bois,
Et de Vénus la grâce enchanteresse,
Et de l’Amour le séduisant minois,
L’art d’Arachné, le doux chant des sirènes :
Elle avait tout ; elle aurait dans ses chaînes
Mis les héros, les sages, et les rois.
La voir, l’aimer, sentir l’ardeur naissante
Des doux désirs, et leur chaleur brûlante,
Lorgner Agnès, soupirer et trembler,
Perdre la voix en voulant lui parler,
Presser ses mains d’une main caressante,
Laisser briller sa flamme impatiente,
Montrer son trouble, en causer à son tour,
Lui plaire enfin, fut l’affaire d’un jour.
Princes et rois vont très-vite en amour.
Agnès voulut, savante en l’art de plaire,
Couvrir le tout des voiles du mystère,
Voiles de gaze, et que les courtisans
Percent toujours de leurs yeux malfaisants.
LePour colorer comme on put cette affaire,
Le roi fit choix du conseiller Bonneau[1],
Confident sûr, et très-bon Tourangeau :
Il eut l’emploi qui certes n’est pas mince,
Et qu’à la cour, où tout se peint en beau,
Nous appelons être l’ami du prince,
Mais qu’à la ville, et surtout en province,
Les gens grossiers ont nommé maq.......
Monsieur Bonneau, sur le bord de la Loire,
Était seigneur d’un fort joli château.
Agnès un soir s’y rendit en bateau,
Et le roi Charle y vint à la nuit noire.
On y soupa ; Bonneau servit à boire ;
Tout fut sans faste, et non pas sans apprêts.
Festins des dieux, vous n’êtes rien auprès !

  1. Personnage feint. Quelques curieux prétendent que le discret auteur avait en vue certain gros valet de chambre d’un certain prince ; mais nous ne sommes pas de cet avis, et notre remarque subsiste, comme dit Dacier. (Note de Voltaire, 1762.)

    — Quelques annotateurs prétendent que ce gros valet de chambre est Dangeau, favori de Louis XIV.