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Respectez plus ma gloire et mon devoir ;
Trop de distance est entre nos espèces ;
Non, je ne puis approuver vos tendresses ;
Gardez-vous bien de me pousser à bout. "



L’âne reprit : " L’amour égale tout.
Songez au cygne à qui Léda fit fête[1],
Sans cesser d’être une personne honnête.
Connaissez-vous la fille de Minos[2],
Pour un taureau négligeant des héros,
Et soupirant pour son beau quadrupède ?
Sachez qu’un aigle enleva Ganymède,
Et que Philyre avait favorisé
Le dieu des mers en cheval déguisé. "



Il poursuivait son discours ; et le diable,
Premier auteur des écrits de la fable,
Lui fournissait ces exemples frappants,
Et mettait l’âne au rang de nos savants.



Tandis qu’il parle avec tant d’élégance,
Le grand Dunois, qui près de là couchait,
Prêtait l’oreille, était tout stupéfait
Des traits hardis d’une telle éloquence.
Il voulut voir le héros qui parlait,
Et quel rival l’Amour lui suscitait.
Il entre, il voit (ô prodige ! ô merveille !)
Le possédé porteur de longue oreille,
Et ne crut pas encor ce qu’il voyait.



Jadis Vénus fut ainsi confondue,
Lorsqu’en un rets formé de fils d’airain,
Aux yeux des dieux le malheureux Vulcain
Sous le dieu Mars la montra toute nue.
Jeanne, après tout, n’a point été vaincue ;
Le bon Denys ne l’abandonnait pas ;
Près de l’abîme il affermit ses pas ;
Il la soutint dans ce péril extrême.
Jeanne s’indigne et rentre en elle-même :
Comme un soldat dans son poste endormi,

  1. Léda, ayant donne ses faveurs à son cygne, accoucha de deux œufs. (Note de Voltaire, 1762.)
  2. Pasiphaé, amoureuse d’un taureau, en eut le Minotaure. Philyre eut d’un cheval le centaure Chiron, précepteur d’Achille : ce ne fut point Neptune, mais
    Saturne, qui prit la forme d’un cheval; notre auteur se trompe en ce point. Je ne nie pas que quelques doctes ne soient de son avis. (Id., 1702.)