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" Hélas ! dit-il, ces objets dans mon cœur
Ont enfoncé les traits de la douleur.
Quoi ! les Anglais règnent dans mon empire !
C’est en leur nom que l’on rend des arrêts !
C’est pour eux seuls que l’on dit des prières !
C’est de leur part, hélas ! que mes sujets
Sont de Paris envoyés aux galères !… "
Puis le bon prince avec compassion
Daigne approcher du maître compagnon
Qui de la file était mis à la tête.
Nul malandrin n’eut l’air plus malhonnête ;
Sa barbe torse ombrage un long menton ;
Ses yeux tournés, plus menteurs que sa bouche,
Portent en bas un regard double et louche ;
Ses sourcils roux, mélangés et retors,
Semblent loger la fraude et l’imposture ;
Sur son front large est l’audace et l’injure,
L’oubli des lois, le mépris des remords ;
Sa bouche écume, et sa dent toujours grince.



Le sycophante, à l’aspect de son prince,
Affecte un air humble, dévot, contrit,
Baisse les yeux, compose et radoucit
Les traits hagards de son affreux visage.
Tel est un dogue au regard impudent,
Au gosier rauque, affamé de carnage ;
Il voit son maître, il rampe doucement,
Lèche ses mains, le flatte en son langage,
Et pour du pain devient un vrai mouton.
Ou tel encore on nous peint le démon.
Qui, s’échappant des gouffres du Tartare,
Cache sa queue et sa griffe barbare,
Vient parmi nous, prend la mine et le ton,
Le front tondu d’un jeune anachorète,
Pour mieux tenter sœur Rose ou sœur Discrète.



Le roi des Francs, trompé par le félon,
Lui témoigna commisération,
L’encouragea par un discours affable :
" Dis-moi quel est ton métier, pauvre diable,
Ton nom, ta place, et pour quelle action
Le Châtelet, avec tant d’indulgence,
Te fait ramer sur les mers de Provence. "
Le condamné, d’un ton de doléance,