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Ont établi leur sacré domicile,
Et dont jamais n’approcha la Raison.
Nos révérends arrivent à la file :
Ils avaient l’air d’être de sens rassis ;
Chacun passait pour sage en son logis ;
On les prendrait pour des gens fort honnêtes,
Point querelleurs et point extravagants,
Quelques-uns même étaient de bonnes têtes :
Ils sont tous fous quand ils sont sur les bancs.



Charle, enivré de joie et de tendresse,
Les yeux mouillés, tout pétillant d’ardeur,
Et ressentant un battement de cœur,
Disait, d’un ton d’amour et de langueur :
" Ma chère Agnès, ma pudique maîtresse,
Mon paradis, précis de tous les biens,
Combien de fois, hélas ! fus-tu perdue !
A mes désirs te voilà donc rendue !
Perle d’amour[1], je te vois, je te tiens ;
Oh ! que tu fais une charmante mine !
Mais tu n’as plus cette taille si fine
Que je pouvais embrasser autrefois,
En la serrant du bout de mes dix doigts.
Quel embonpoint ! quel ventre ! quelles fesses !
Voilà le fruit de nos tendres caresses :
Agnès est grosse, Agnès me donnera
Un beau bâtard qui pour nous combattra.
Je veux greffer, dans l’ardeur qui m’emporte,
Ce fruit nouveau sur l’arbre qui le porte.
Amour le veut ; il faut que dans l’instant
J’aille au-devant de cet aimable enfant. "



A qui le roi se faisait-il entendre ?
A qui tient-il ce discours noble et tendre ?
Qui tenait-il dans ses bras amoureux ?
C’était Bonneau, soufflant, suant, poudreux ;
C’était Bonneau ; jamais homme en sa vie
Ne se sentit l’âme plus ébahie.
Charles, pressé d’un désir violent,
D’un bras nerveux le pousse tendrement ;

  1. On lit dans toutes les éditions: Parle d'amour, ce qui me paraît ici n'avoir aucun sens. En me permettant de rectifier, sans l'autorité d'aucune édition, le vers de Voltaire, je ne crois pas avoir dépassé les droits d'un éditeur. (R.)