Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/281

Cette page n’a pas encore été corrigée

Qui depuis peu fit Marie Alacoque[1].
Autour de lui voltigent l’Équivoque,
La louche Énigme, et les mauvais Bons Mots,
A double sens, qui font l’esprit des sots ;
Les Préjugés, les Méprises, les Songes,
Les Contre-Sens, les absurdes Mensonges,
Ainsi qu’on voit aux murs d’un vieux logis
Les chats-huants et les chauves-souris.
Quoi qu’il en soit, ce damnable édifice
Fut fabriqué par un tel artifice,
Que tout mortel qui dans ces lieux viendra
Perdra l’esprit tant qu’il y restera.



A peine Agnès, avec sa douce escorte,
De ce palais avait touché la porte,
Que Bonifoux, ce grave confesseur,
Devint l’objet de sa fidèle ardeur ;
Elle le prend pour son cher roi de France
" O mon héros ! ô ma seule espérance !
Le juste ciel vous rend à mes souhaits.
Ces fiers Bretons sont-ils par vous défaits ?
N’auriez-vous point reçu quelque blessure ?
Ah ! laissez-moi détacher votre armure. "
Lors elle veut, d’un effort tendre et doux,
Oter le froc du père Bonifoux,
Et, dans ses bras bientôt abandonnée,
L’œil enflammé, la cou vers lui tendu,
Cherche un baiser qui soit pris et rendu.
Charmante Agnès, que tu fus consternée,
Lorsque, cherchant un menton frais tondu,
Tu ne sentis qu’une barbe tannée,
Longue, piquante, et rude, et mal peignée !
Le confesseur tout effaré s’enfuit,
Méconnaissant la belle qui le suit.
La tendre Agnès, se voyant dédaignée,

  1. L'Histoire de Marie Alacoque, ouvrage rare par l'excès du ridicule, composé par Languet, alors évêque de Soissons. Ce passage nous indique que le fameux poëme que nous commentons fut fait vers l'an 1730, temps où il était beaucoup question de Marie Alacoque. (Note de Voltaire, 1762.) — On ferait un énorme volume de toutes les satires, chansons, et épigrammes, que Languet s'attira par la publication de la Vie de Marguerite-Marie Alacoque, religieuse de la Visitation de sainte Marie du monastère de Paray-le-Monial, en Charolais :Paris, 1729, in-4o. (R.)