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Les tendres sœurs, voyant le beau Monrose,
Sentaient rougir leurs visages de rose,
Disant tout bas : " Ah ! que n’était-il là,
Dieu paternel, quand on nous viola ? "
Toutes en cercle autour de lui se mirent,
Parlant sans cesse ; et lorsqu’elles apprirent
Que ce beau page allait chercher Agnès,
On lui donna le coursier le plus frais,
Avec un guide, afin que sans esclandre
Il arrivât au château de Cutendre.



En arrivant, il vit près du chemin,
Non loin du pont, l’aumônier inhumain.
Lors, tout ému de joie et de colère :
" Ah ! c’est donc toi, prêtre de Belzébut !
Je jure ici Chandos et mon salut,
Et, plus encor, les yeux qui m’ont su plaire,
Que tes forfaits vont enfin se payer. "
Sans repartir, le bouillant aumônier
Prend d’une main par la rage tremblante
Un pistolet[1], en presse la détente ;
Le chien s’abat, le feu prend, le coup part ;
Le plomb chassé siffle et vole au hasard,
Suivant au loin la ligne mal mirée
Que lui traçait une main égarée.
Le page vise, et, par un coup plus sûr,
Atteint le front, ce front horrible et dur,
Où se peignait une âme détestable.



L’aumônier tombe, et le page vainqueur
Sentit alors dans le fond de son cœur
De la pitié le mouvement aimable.
" Hélas ! dit-il, meurs du moins en chrétien,
Dis _Te Deum_ ; tu vécus comme un chien ;
Demande au ciel pardon de ta luxure ;
Prononce _amen_ ; donne ton âme à Dieu.
— Non, répondit le maraud à tonsure ;
Je suis damné, je vais au diable : adieu. "
Il dit, et meurt ; son âme déloyale

  1. Il faut avouer que lEs pistolets ne furent inventés à Pistoie que longtemps après. Nous n'osons affirmer qu'il soit permis d'anticiper ainsi les temps; mais que ne pardonne-t-on point dans un poëme épique? L'épopée a de grands droits. (Note de Voltaire, 1762.)