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C’est sur un manuscrit divisé en quinze chants que Darget avait fait à Vincennes, en mai 1755, une lecture de la Pucelle à quelques personnes[1]. Cependant la lettre à d’Argental, du 6 février 1755, parle d’un dix-neuvième chant, qui était entre les mains de Mlle du Thil, anciennement au service de Mme du Châtelet. Ce dix-neuvième chant, sur lequel je reviendrai, était donc composé avant la mort de Mme du Châtelet[2].

La police, continuant ses recherches, soupçonna un abbé de La Chau, ancien habitué de l’hôpital, et brouillé avec l’archevêque, d’avoir vendu des copies manuscrites. De semblables soupçons s’élevaient contre le chevalier de La Morlière.

Au milieu de tous ces ennuis, Voltaire lui-même multipliait les copies. Ce n’était pas seulement à Mme de Pompadour et au duc de La Vallière qu’il en envoyait ; il en promettait une à Formont[3], tout en renouvelant ses plaintes sur leur multiplication[4]. En même temps il recommandait à Mme de Fontaine de faire copier son poëme[5], et de se faire rembourser par son notaire Delaleu les frais de copie[6]. Il n’était pas étonnant que les manuscrits devinssent à bon marché. On en avait offert à Ximenès pour cinq louis[7], et Colini dit qu’on en avait pour un louis[8].

Il est assez naturel de penser que les copies envoyées par Voltaire à Mme de Pompadour, au duc de La Vallière, etc., étaient toutes conformes à l’ouvrage tel qu’il voulait l’avouer.

Palissot, qui alla aux Délices en octobre 1755, et qui s’est trouvé ainsi en position de voir ou d’apprendre bien des choses, dit que Voltaire « imagina d’employer à Paris même un grand nombre de copistes occupés jour et nuit à répandre dans le public des manuscrits de la Pucelle. Tous ces manuscrits différaient les uns des autres ; tous étaient plus ou moins chargés de vers détestables, ou de turpitudes révoltantes, que lui-même y faisait insérer à dessein. L’empressement qu’on avait de jouir de ce poëme, quelque défectueux qu’il pût être, faisait acheter toutes ces copies. Chacun se flattait d’avoir la meilleure… Il n’était guère de société qui n’eût son manuscrit.

« Ce singulier moyen de défense, qu’on ne peut guère reprocher à un vieillard menacé d’une persécution si cruelle, lui paraissait un prétexte plausible pour désavouer hautement un ouvrage qui semblait être devenu l’objet des spéculations d’une foule de corsaires. »

Si des additions de vers grossiers, défectueux, bizarres, étaient nécessaires, il n’était pas moins important de faire des suppressions. Je possède quatre manuscrits du poëme de la Pucelle : j’en ai vu beaucoup d’autres,

  1. Lettre de Voltaire à Darget, du 23 mai ; et de Darget à Voltaire, du 1er juin 1755.
  2. 10 septembre 1749.
  3. Lettre à Formont, du 13 juin 1755.
  4. Lettre à d’Argental, du 15 juin.
  5. Lettre à Mme de Fontaine, du 2 juillet.
  6. Lettre du 6 septembre.
  7. Lettre à d’Argental, du 22 juillet.
  8. Mon Séjour auprès de Voltaire, page 145.