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Je vois d’abord mon lecteur qui s’étonne
Qu’un si grand roi, qui tout son peuple a mis
Dans le chemin du benoît paradis,
N’ait pu jouir du salut qu’il nous donne.
Ah ! qui croirait qu’un premier roi chrétien
Fût en effet damné comme un païen ?
Mais mon lecteur se souviendra très-bien.
Qu’être lavé de cette eau salutaire
Ne suffit pas, quand le cœur est gâté.
Or ce Clovis, dans le crime empâté[1],
Portait un cœur inhumain, sanguinaire ;
Et saint Remi ne put laver jamais
Ce Roi des Francs, gangrené de forfaits.



Parmi ces grands, ces souverains du monde,
Ensevelis dans cette nuit profonde,
On discernait le fameux Constantin.
" Est-il bien vrai ? criait avec surprise
Le moine gris : ô rigueur ! ô destin !
Quoi ! ce héros fondateur de l’Église,
Qui de la terre a chassé les faux dieux,
Est descendu dans l’enfer avec eux ? "
Lors Constantin dit ces propres paroles[2] :
" J’ai renversé le culte des idoles ;
Sur les débris de leurs temples fumants,
Au Dieu du ciel j’ai prodigué l’encens :
Mais tous mes soins pour sa grandeur suprême
N’eurent jamais d’autre objet que moi-même ;
Les saints autels n’étaient à mes regards
Qu’un marchepied du trône de Césars.
L’ambition, les fureurs, les délices,
Étaient mes dieux, avaient mes sacrifices.
L’or des chrétiens, leurs intrigues, leur sang,
Ont cimenté ma fortune et mon rang.

    plusieurs de ses parents : ce qui n’est pas trop chrétien. (Note de Voltaire, 1762.)

  1. Dans les fameux couplets attribués à J.-B. Rousseau, Vassaint est traité de
    B… dans le crime empâté. (R.)
  2. Constantin arrarha la vie à son beau-père, à son beau-frère, à son neveu, à sa femme, à son fils, et fut le plus vain et le plus voluptueux de tous les hommes, d’ailleurs bon catholique ; mais il mourut arien, et baptisé par un évêque arien. (Note de Voltaire, 1762.)