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Les soldats étonnés ignorent son dessein ;
Et tous de son retour attendent leur destin.
Il marche. Cependant la ville criminelle
Le croit toujours présent, prêt à fondre sur elle ;
Et son nom, qui du trône est le plus ferme appui,
Semait encor la crainte, et combattait pour lui.
Déjà des Neustriens il franchit la campagne.
De tous ses favoris, Mornay seul l’accompagne,
Mornay[1], son confident, mais jamais son flatteur ;
Trop vertueux soutien du parti de l’erreur,
Qui, signalant toujours son zèle et sa prudence,
Servit également son Église et la France ;
Censeur des courtisans, mais à la cour aimé ;
Fier ennemi de Rome, et de Rome estimé.
À travers deux rochers où la mer mugissante
Vient briser en courroux son onde blanchissante,
Dieppe aux yeux du héros offre son heureux port :
Les matelots ardents s’empressent sur le bord ;
Les vaisseaux sous leurs mains, fiers souverains des ondes,
Étaient prêts à voler sur les plaines profondes ;
L’impétueux Borée, enchaîné dans les airs,
Au souffle du zéphyr abandonnait les mers.

  1. Duplessis-Mornay, le plus vertueux et le plus grand homme du parti protestant, naquit à Buy le 5 novembre 1549. Il savait le latin et le grec parfaitement, et l’hébreu autant qu'on le peut savoir : ce qui était un prodige alors dans un gentilhomme. Il servit sa religion et son maître de sa plume et de son épée. Ce fut lui que Henri IV, étant roi de Navarre, envoya à Elisabeth, reine d'Angleterre. Il n'eut jamais d'autre instruction de son maître qu'un blanc-signé. Il réussit dans presque toutes ses négociations, parce qu'il était un vrai politique, et non un intrigant. Ses lettres passent pour être écrites avec beaucoup de force et de sagesse.



    Lorsque Henri IV eut changé de religion, Duplessis-Mornay lui fit de sanglants reproches, et se retira de sa cour. On l'appelait le pape des huguenots.
    Tout ce qu'on dit de son caractère dans le poëme est conforme à l’histoire. (Note de Voltaire. 1730.)

    La raison qui porta l'auteur à choisir le personnage de Mornay, c'est ce caractère de philosophe qui n'appartient qu'à lui, et qu'on trouve développé au chant huitième :
    Et son rare courage, ennemi des combats,
    Sait affronter la mort, et ne la donne pas.


    Et au chant sixième,
    Il marche en philosophe où l'honneur le conduit,
    Condamne les combats, plaint son maître, et le suit.
    (Id., 1768.)



    — Voyez aussi la variante du vers 149.