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LETTRE CRITIQUE. :m

Je me soucie fort peu qu'il me nomme tous les lieutenants généraux qui étaient chacun à leur poste. Ne voilà-t-il pas une chose bien extraordinaire d'être à son poste! Un franc pédant, qui est tout plein de son Homère, nous a voulu persuader (juc c'est ainsi que ce vieux Grec s'y prenait dans son roman de l'Iliade, et que Virgile l'avait imité ; vous savez comme nous l'avons reçu avec son Homère et son Virgile: je ne crois pas qu'on s'avise de les citer dorénavant devant vous ni devant moi. J'entends dire à de fort habiles gens que ces rêveurs-là sont tout à fait passés de mode , et qu'un homme qui écrirait dans leur goût ne serait pas toléré aujourd'hui. On dit qu'ils poussaient le ridicule jusqu'à faire une description détaillée des blessures d'anciens héros imaginaires :si cela est, il est bien clair que rien n'est plus impertinent que de parler des blessures que nos officiers ont reçues réellement depuis peu, puisque Virgile ne parlait que de gens qui avaient été blessés deux mille ans auparavant.

On m'a assuré qu'Homère employait un livre tout entier à faire rénumération de toutes les troupes de la Grèce : pourquoi donc ne peindre qu'en peu de vers les grenadiers, les carai)iniers, la maison du roi, les dragons? S'il y avait eu davantage de ces pein- tures, il est vrai que je n'aurais jamais lu cet ouvrage; et c'est précisément ce que je voulais : car, en vérité, je l'ai lu malgré moi, et je ne sais pas pourquoi quelques personnes, à l'article de M. du Brocard, de M, de Craon, et du duc de Grammont, ont versé des larmes. On ne peut s'attendrir ainsi que par esprit de cabale : mais je vous réponds que nous en ferons une bien vio- lente contre l'auteur et ses adhérents.

Premièrement, nous dirons qu'il est Anglais ; et on le voit assez par l'épithôte de brave qu'il donne au duc de Cumberland, qui est venu attaquer Sa Majesté. Nous déchaînerons contre lui tout Paris, qu'il a si indignement attaqué par ces détestables vers :

Ils tombent ces liéros, ils tombent ces vengeurs;

Ils meurent, et nos jours sont heureux et tranquilles :

La molle volupté, le luxe de nos villes,

Filent ces jours sereins, ces jours que nous devons

Au sang de nos guerriers, aux périls des Bourbons.

(Vers 1-40, etc.)

C'est moi, sans doute, et toute ma société, qu'il a eus en vue ; mais nous le perdrons à la cour de Hanovre. Nous ferons voir à toute la terre que son ouvrage est plein de mensonges.

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