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LE CAMOËNS.

n’alla aux Grandes-Indes que longtemps après. Un désir vague de voyager et de faire fortune, l’éclat que faisaient à Lisbonne ses galanteries indiscrètes, ses mécontentements de la cour, et surtout cette curiosité assez inséparable d’une grande imagination, l’arrachèrent à sa patrie, il servit d’abord volontaire sur un vaisseau, et il perdit un œil dans un combat de mer. Les Portugais avaient déjà un vice-roi dans les Indes. Camoëns étant à Goa en fut exilé par le vice-roi. Être exilé d’un lieu qui pouvait être regardé lui-même comme un exil cruel, c’était un de ces malheurs singuliers que la destinée réservait à Camoëns. Il languit quelques années dans un coin de terre barbare sur les frontières de la Chine, où les Portugais avaient un petit comptoir, et où ils commençaient à bâtir la ville de Macao. Ce fut là qu’il composa son poëme de la découverte des Indes, qu’il intitula Lusiade ; titre qui a peu de rapport au sujet, et qui, à proprement parler, signifie la Portugade.

Il obtint un petit emploi à Macao même, et de là retournant ensuite à Goa, il fit naufrage sur les côtes de la Chine, et se sauva, dit-on, en nageant d’une main, et tenant de l’autre son poëme, seul bien qui lui restait. De retour à Goa, il fut mis en prison ; il n’en sortit que pour essuyer un plus grand malheur, celui de suivre en Afrique un petit gouverneur arrogant et avare : il éprouva toute l’humiliation d’en être protégé. Enfin il revint à Lisbonne avec son poëme pour toute ressource. Il obtint une petite pension d’environ huit cents livres de notre monnaie d’aujourd’hui ; mais on cessa bientôt de la lui payer. Il n’eut d’autre retraite et d’autre secours qu’un hôpital. Ce fut là qu’il passa le reste de sa vie, et qu’il mourut dans un abandon général. À peine fut-il mort qu’on s’empressa de lui faire des épitaphes honorables, et de le mettre au rang des grands hommes. Quelques villes se disputèrent l’honneur de lui avoir donné la naissance. Ainsi il éprouva en tout le sort d’Homère. Il voyagea comme lui ; il vécut et mourut pauvre, et n’eut de réputation qu’après sa mort. Tant d’exemples doivent apprendre aux hommes de génie que ce n’est point par le génie qu’on fait sa fortune et qu’on vit heureux.

Le sujet de la Lusiade, traité par un esprit aussi vif que le Camoëns, ne pouvait que produire une nouvelle espèce d’épopée. Le fond de son poëme n’est ni une guerre, ni une querelle de héros, ni le monde en armes pour une femme ; c’est un nouveau pays découvert à l’aide de la navigation.

Voici comme il débute : « Je chante ces hommes au-dessus du vulgaire, qui des rives occidentales de la Lusitanie, portés sur des