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ESSAI SUR LA POÉSIE ÉPIQUE.

piques que Pindare chantait, et dont il n’avait presque rien à dire ; il fallait qu’il se jetât sur les louanges de Castor, de Pollux, et d’Hercule. Les faibles commencements de l’empire romain avaient besoin d’être relevés par l’intervention des dieux ; mais César, Pompée, Caton, Labiénus, vivaient dans un autre siècle qu’Énée ; les guerres civiles de Rome étaient trop sérieuses pour ces jeux d’imagination. Quel rôle César jouerait-il dans la plaine de Pharsale, si Iris venait lui apporter son épée, ou si Vénus descendait dans un nuage d’or à son secours ?

Ceux qui prennent les commencements d’un art pour les principes de l’art même sont persuadés qu’un poëme ne saurait subsister sans divinités, parce que l’Iliade en est pleine ; mais ces divinités sont si peu essentielles au poëme, que le plus bel endroit qui soit dans Lucain, et peut-être dans aucun poëte, est le discours de Caton, dans lequel ce stoïque ennemi des fables dédaigne d’aller voir le temple de Jupiter Ammon[1]. Je me sers de la traduction de Brébeuf, malgré ses défauts.


 Laissons, laissons, dit-il, un secours si honteux
À ces âmes qu’agite un avenir douteux…
Pour être convaincu que la vie est à plaindre,
Que c’est un long combat dont l’issue est à craindre,
Qu’un trépas glorieux vaut bien mieux que les fers[2],
Je ne consulte point les dieux ni les enfers…
Lorsque d’un rien fécond[3] nous passons jusqu’à l’être,
Le ciel met dans nos cœurs tout ce qu’il faut connaître ;
Nous trouvons Dieu partout, partout il parle à nous ;
Nous savons ce qui fait ou détruit son courroux ;
Et chacun porte en soi ce conseil salutaire,
Si le charme des sens ne le force à se taire.
Croyons-nous qu’à ce temple un dieu soit limité ?
Qu’il ait dans ces sablons caché la vérité ?
Faut-il d’autre séjour à ce monarque auguste
Que les cieux, que la terre, et que le cœur du juste ?
C’est lui qui nous soutient, c’est lui qui nous conduit :

  1. Pharsale, livre IX, vers 565.
  2. Voltaire, en citant Brébeuf, l’avait corrigé. Il avait mis :

    Qu’une mort glorieuse est préférable aux fers.

    Je n’ai vu aucun inconvénient à rétablir le texte de Brébeuf. (B.)
  3. Voltaire avait mis :

    Alors que du néant, etc. (B.)