Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur quoi les nations polies se réunissent, et sur quoi elles diffèrent. Un poëme épique doit partout être fondé sur le jugement, et embelli par l’imagination : ce qui appartient au bon sens appartient également à toutes les nations du monde. Toutes vous diront qu’une action une et simple, qui se développe aisément et par degrés, et qui ne coûte point une attention fatigante, leur plaira davantage qu’un amas confus d’aventures monstrueuses. On souhaite généralement que cette unité si sage soit ornée d’une variété d’épisodes qui soient comme les membres d’un corps robuste et proportionné. Plus l’action sera grande, plus elle plaira à tous les hommes, dont la faiblesse est d’être séduits par tout ce qui est au delà de la vie commune. Il faudra surtout que cette action soit intéressante, car tous les cœurs veulent être remués ; et un poëme parfait d’ailleurs, s’il ne touchait point, serait insipide en tout temps et en tout pays. Elle doit être entière, parce qu’il n’y a point d’homme qui puisse être satisfait s’il ne reçoit qu’une partie du tout qu’il s’est promis d’avoir.

Telles sont à peu près les principales règles que la nature dicte à toutes les nations qui cultivent les lettres ; mais la machine du merveilleux, l’intervention d’un pouvoir céleste, la nature des épisodes, tout ce qui dépend de la tyrannie de la coutume, et de cet instinct qu’on nomme goût, voilà sur quoi il y a mille opinions, et point de règles générales.

Mais, me direz-vous, n’y a-t-il point des beautés de goût qui plaisent également à toutes les nations ? il y en a sans doute en très-grand nombre. Depuis le temps de la renaissance des lettres, qu’on a pris les anciens pour modèles, Homère, Démosthène, Virgile, Cicéron, ont en quelque manière réuni sous leurs lois tous les peuples de l’Europe, et fait de tant de nations différentes une seule république des lettres ; mais, au milieu de cet accord général, les coutumes de chaque peuple introduisent dans chaque pays un goût particulier.

Vous sentez dans les meilleurs écrivains modernes le caractère de leur pays à travers l’imitation de l’antique : leurs fleurs et leurs fruits sont échauffés et mûris par le même soleil ; mais ils reçoivent du terrain qui les nourrit des goûts, des couleurs, et des formes différentes. Vous reconnaîtrez un Italien, un Français, un Anglais, un Espagnol, à son style, comme aux traits de son visage, à sa prononciation, à ses manières. La douceur et la mollesse de la langue italienne s’est insinuée dans le génie des auteurs italiens. La pompe des paroles, les métaphores, un style majestueux, sont, ce me semble, généralement parlant, le caractère des écrivains espa-