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ESSAI
SUR LA POÉSIE ÉPIQUE




CHAPITRE I.

des différents goûts des peuples.

On a accablé presque tous les arts d’un nombre prodigieux de règles, dont la plupart sont inutiles ou fausses. Nous trouvons partout des leçons, mais bien peu d’exemples. Rien n’est plus aisé que de parler d’un ton de maître des choses qu’on ne peut exécuter : il y a cent poétiques contre un poëme. On ne voit que des maîtres d’éloquence, et presque pas un orateur. Le monde est plein de critiques, qui, à force de commentaires, de définitions, de distinctions, sont parvenus à obscurcir les connaissances les plus claires et les plus simples. Il semble qu’on n’aime que les chemins difficiles. Chaque science, chaque étude, a son jargon, inintelligible, qui semble n’être inventé que pour en défendre les approches. Que de noms barbares ! que de puérilités pédantesques on entassait il n’y a pas longtemps dans la tête d’un jeune homme, pour lui donner en une année ou deux une très-fausse idée de l’éloquence, dont il aurait pu avoir une connaissance très-vraie en peu de mois, par la lecture de quelques bons livres ! La voie par laquelle on a si longtemps enseigné l’art de penser est assurément bien opposée au don de penser,

Mais c’est surtout en fait de poésie que les commentateurs et les critiques ont prodigué leurs leçons. Ils ont laborieusement écrit des volumes sur quelques lignes que l’imagination des poètes a créées en se jouant. Ce sont des tyrans qui ont voulu asservir à leurs lois une nation libre, dont ils ne connaissent point le caractère ; aussi ces prétendus législateurs n’ont fait souvent qu’embrouiller tout dans les États qu’ils ont voulu régler.