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ÉTAT DES RECHERCHES HISTORIQUES.

Il était impossible qu’un tel homme fût discret, qu’il ne trahît pas les préoccupations auxquelles il était livré. On le voit, en effet, essayer des demi-confidences. Ainsi, à l’en croire, il se serait abouché avec un père jésuite, nommé d’Aubigny ; il lui montra un jour un petit couteau où il y avait un cœur et une croix, disant, en termes vagues, que le cœur du roi devait être porté à faire la guerre aux hérétiques. Il lui parla aussi de ses visions. Le P. d’Aubigny, raconte Ravaillac, lui fit réponse qu’il croyait que c’étaient plus imaginations que visions, qui procédaient d’avoir le cerveau troublé, comme son visage le démontrait, et lui conseilla de manger de bons potages, retourner en son pays, dire son chapelet et prier Dieu. Il est vrai que, confronté avec Ravaillac après le crime, le P. d’Aubigny déclara ne point le reconnaître et n’avoir conservé aucun souvenir du récit que faisait l’accusé. Celui-ci ne marqua aucune irritation de ce désaveu, fait en termes très-vifs, et persista dans son récit.

Il resta l’espace d’un mois environ à Paris : il y fut réduit à une profonde misère, jusque-là d’implorer une aumône d’un sou à l’issue d’une messe à laquelle il avait assisté dans l’église des Jésuites de la rue Saint-Antoine. Enfin la détresse où il se trouvait l’obligea de reprendre le chemin d’Angoulême à la fin de janvier 1610.

Pendant ce séjour, Ravaillac, quoique la tentation de tuer le roi le poursuivit depuis longtemps, n’avait encore, ainsi qu’il l’affirma ensuite, formé d’autre dessein que de sommer Henri IV, au nom de ses prétendues révélations, de faire la guerre aux huguenots, sans avoir arrêté ce qu’il ferait au cas où le souverain refuserait d’obtempérer à ses avis, qu’il considérait comme des ordres de la Providence. En partant de Paris pour revenir à Angoulême, après s’être convaincu de l’impuissance où il était de parler au roi, la pensée du meurtre avait pris beaucoup plus de consistance dans son esprit.