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DISSERTATION SUR LA MORT DE HENRI IV.

rance d’être moins damné, et Ravaillac, dans l’espérance d’être sauvé.

Il le faut avouer, ces monstres étaient fervents dans la foi. Ravaillac se recommande en pleurant à saint François son patron et à tous les saints ; il se confesse avant de recevoir la question ; il charge deux docteurs auxquels il s’est confessé d’assurer le greffier que jamais il n’a parlé à personne du dessein de tuer le roi ; il avoue seulement qu’il a parlé au P. d’Aubigny, jésuite, de quelques visions qu’il a eues, et le P. d’Aubigny dit très-prudemment qu’il ne s’en souvient pas ; enfin le criminel jure jusqu’au dernier moment, sur sa damnation éternelle, qu’il est seul coupable, et il le jure plein de repentir. Sont-ce là des raisons ? Sont-ce là des preuves suffisantes ?

Cependant l’éditeur du sixième tome des Mémoires de Condé insiste encore ; il recherche un passage des Mémoires de L’Estoile dans lequel on fait dire à Ravaillac, dans la place de l’exécution : « On m’a bien trompé quand on m’a voulu persuader que le coup que je ferais serait bien reçu du peuple, puisqu’il fournit lui-même des chevaux pour me déchirer. » Premièrement, ces paroles ne sont point rapportées dans le procès-verbal de l’exécution ; secondement, il est vrai peut-être que Ravaillac dit ou voulut dire : « On m’a bien trompé quand on me disait : Le roi est haï, on se réjouira de sa mort. » Il voyait le contraire, et les regrets du peuple ; il se voyait l’objet de l’horreur publique. Il pouvait bien dire : « On m’a trompé. » En effet, s’il n’avait jamais entendu justifier dans les conversations le crime de Jean Chastel, s’il n’avait pas eu les oreilles rebattues des maximes fanatiques de la Ligue, il n’eût jamais commis ce parricide. Voilà l’unique sens de ces paroles. Mais les a-t-il prononcées ? Qui l’a dit à M. de L’Estoile ? Un bruit de ville qu’il rapporte prévaudra-t-il sur un procès-verbal ? Dois-je en croire ce L’Estoile, qui écrivait le soir tous les contes populaires qu’il avait entendus le jour ? Défions-nous de tous ces journaux qui sont des recueils de tout ce que la renommée débite.

Je lus, il y a quelques années, dix-huit tomes in-folio des Mémoires du feu marquis de Dangeau : j’y trouvai ces propres paroles : « La reine d’Espagne, Marie-Louise d’Orléans, est morte empoisonnée par le marquis de Mansfeld ; le poison avait été mis dans une tourte d’anguilles ; la comtesse de Pernits, qui mangea la desserte de la reine, en est morte aussi ; trois caméristes en ont été malades. Le roi l’a dit ce soir à son petit couvert. » Qui ne croirait un tel fait, circonstancié, appuyé du témoignage de