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DE FRANCE.

dat armé contre l’ennemi ; il eut soin des blessés, et donna la liberté à plusieurs personnes. Cependant tant de valeur et tant de générosité ne touchèrent point les ligueurs.

Les guerres civiles de France étaient devenues la querelle de toute l’Europe. Le roi Philippe II était vivement engagé à défendre la Ligue : la reine Élisabeth donnait toutes sortes de secours à Henri, non parce qu’il était protestant, mais parce qu’il était ennemi de Philippe II, dont il lui était dangereux de laisser croître le pouvoir. Elle envoya à Henri cinq mille hommes, sous le commandement du comte d’Essex, son favori, auquel elle fit depuis trancher la tête.

Le roi continua la guerre avec différents succès. Il prit d’assaut tous les faubourgs de Paris dans un seul jour. Il eût peut-être pris de même la ville s’il n’eût pensé qu’à la conquérir ; mais il craignit de donner sa capitale en proie aux soldats, et de ruiner une ville qu’il avait envie de sauver. Il assiégea Paris ; il leva le siége, il le recommença ; enfin il bloqua la ville, et lui coupa toutes les communications, dans l’espérance que les Parisiens seraient forcés, par la disette des vivres, à se rendre sans effusion de sang.

Mais Mayenne, les prêtres, et les Seize, tournèrent les esprits avec tant d’art, les envenimèrent si fort contre les hérétiques, et remplirent leur imagination de tant de fanatisme, qu’ils aimèrent mieux mourir de faim que de se rendre et d’obéir.

Les moines et les religieux donnèrent un spectacle qui, bien que ridicule en lui-même, fut cependant un ressort merveilleux pour animer le peuple. Ils firent une espèce de revue militaire, marchant par rang et de file, et portant des armes rouillées par-dessus leurs capuchons, ayant à leur tête la figure de la vierge Marie, branlant des épées, et criant qu’ils étaient tout prêts à combattre et à mourir pour la défense de la foi ; en sorte que les bourgeois, voyant leurs confesseurs armés, croyaient effectivement soutenir la cause de Dieu.

Quoi qu’il en soit, la disette dégénéra en famine universelle : ce nombre prodigieux de citoyens n’avait d’autre nourriture que les sermons des prêtres et que les miracles imaginaires des moines, qui, par ce pieux artifice, avaient dans leurs couvents toutes choses en abondance, tandis que toute la ville était sur le point de mourir de faim. Les misérables Parisiens, trompés d’abord par l’espérance d’un prompt secours, chantaient dans les rues des ballades et des lampons contre Henri : folie qu’on ne pourrait attribuer à quelque autre nation avec vraisemblance,