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DE FRANCE.

avaient acquis une autorité absolue, et devinrent dans la suite aussi insupportables à Mayenne qu’ils avaient été terribles au roi.

D’ailleurs les prêtres, qui ont toujours été les trompettes de toutes les révolutions, tonnaient en chaire, et assuraient de la part de Dieu que celui qui tuerait le tyran entrerait infailliblement en paradis. Les noms sacrés et dangereux de Jéhu et de Judith, et tous ces assassinats consacrés par l’Écriture sainte, frappaient partout les oreilles de la nation. Dans cette affreuse extrémité, le roi fut enfin forcé d’implorer le secours de ce même Navarrois qu’il avait autrefois refusé. Ce prince fut plus sensible à la gloire de protéger son beau-frère et son roi qu’à la victoire qu’il avait remportée sur lui.

Il mena son armée au roi ; mais avant que ses troupes fussent arrivées, il vint le trouver, accompagné d’un seul page. Le roi fut étonné de ce trait de générosité, dont il n’avait pas été lui-même capable. Les deux rois marchèrent vers Paris à la tête d’une puissante armée, La ville n’était point en état de se défendre. La Ligue touchait au moment de sa ruine entière, lorsqu’un jeune religieux de l’ordre de saint Dominique changea toute la face des affaires.

Son nom était Jacques Clément ; il était né dans un village de Bourgogne, appelé Sorbonne[1] et alors âgé de vingt-quatre ans. Sa farouche piété, et son esprit noir et mélancolique, se laissèrent bientôt entraîner au fanatisme par les importunes clameurs des prêtres. Il se chargea d’être le libérateur et le martyr de la sainte Ligue. Il communiqua son projet à ses amis et à ses supérieurs : tous l’encouragèrent et le canonisèrent d’avance. Clément se prépara à son parricide par des jeûnes et par des prières continuelles pendant des nuits entières. Il se confessa, reçut les sacrements, puis acheta un bon couteau. Il alla à Saint-Cloud, où était le quartier du roi, et demanda à être présenté à ce prince, sous prétexte de lui révéler un secret dont il lui importait d’être promptement instruit. Ayant été conduit devant Sa Majesté, il se prosterna avec une modeste rougeur sur le front, et il lui remit une lettre qu’il disait être écrite par Achille de Harlay, premier président. Tandis que le roi lit, le moine le frappe dans le ventre, et laisse le couteau dans la plaie ; ensuite, avec un regard assuré, et les mains sur sa poitrine, il lève les yeux au ciel, attendant paisiblement les suites de son assassinat. Le roi se lève, arrache le couteau de son ventre, et en frappe le meurtrier au

  1. Voyez la note 2 de la page 134.