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Aux uns, à qui la mort allait fermer les yeux,
Leurs libérales mains ouvraient déjà les cieux ;
Aux autres ils montraient, d’un coup d’œil prophétique,
Le tonnerre allumé sur un prince hérétique,
Paris bientôt sauvé par des secours nombreux,
Et la manne du ciel prête à tomber pour eux.
Hélas ! ces vains appâts, ces promesses stériles,
Charmaient ces malheureux, à tromper trop faciles :
Par les prêtres séduits, par les Seize effrayés,
Soumis, presque contents, ils mouraient à leurs pieds.
Trop heureux, en effet, d’abandonner la vie !
D’un ramas d’étrangers la ville était remplie,
Tigres que nos aïeux nourrissaient dans leur sein,
Plus cruels que la mort, et la guerre, et la faim.
Les uns étaient venus des campagnes belgiques ;
Les autres, des rochers et des monts helvétiques ;
Barbares[1] dont la guerre est l’unique métier,
Et qui vendent leur sang à qui veut le payer.
De ces nouveaux tyrans les avides cohortes
Assiègent les maisons, en enfoncent les portes ;
Aux hôtes effrayés présentent mille morts,
Non pour leur arracher d’inutiles trésors,
Non pour aller ravir, d’une main adultère,
Une fille éplorée à sa tremblante mère ;
De la cruelle faim le besoin consumant
Fait expirer en eux tout autre sentiment ;
Et d’un peu d’aliments la découverte heureuse
Était l’unique but de leur recherche affreuse.
Il n’est point de tourment, de supplice, et d’horreur,
Que, pour en découvrir, n’inventât leur fureur.
Une femme (grand Dieu ! faut-il à la mémoire[2]
Conserver le récit de cette horrible histoire ?),

  1. Les Suisses qui étaient dans Paris à la solde du duc de Mayenne y commirent des excès affreux, au rapport de tous les historiens du temps ; c’est sur eux seuls que tombe ce mot de barbares, et non sur leur nation, pleine de bon sens et de droiture, et l’une des plus respectables nations du monde, puisqu’elle ne songe qu’à conserver sa liberté, et jamais à opprimer celle des autres. (Note de Voltaire, 1730.)
  2. Cette histoire est rapportée dans tous les mémoires du temps. De pareilles horreurs arrivèrent aussi au siège de la ville de Sancerre. (Id., 1730.)