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Et son âme en courroux s’envola chez les morts[1],
Où l’aspect de son père excita ses remords.
Espagnols tant vantés, troupe jadis si fière,
Sa mort anéantit votre vertu guerrière ;
Pour la première fois vous connûtes la peur.
L’étonnement, l’esprit de trouble et de terreur,
S’empare, en ce moment, de leur troupe alarmée ;
Il passe en tous les rangs, il s’étend sur l’armée ;
Les chefs sont effrayés, les soldats éperdus ;
L’un ne peut commander, l’autre n’obéit plus.
Ils jettent leurs drapeaux, ils courent, se renversent,
Poussent des cris affreux, se heurtent, se dispersent :
Les uns, sans résistance, à leur vainqueur offerts,
Fléchissent les genoux, et demandent des fers ;
D’autres, d’un pas rapide évitant sa poursuite,
Jusqu’aux rives de l’Eure emportés dans leur fuite,
Dans ses profondes eaux vont se précipiter,
Et courent au trépas qu’ils veulent éviter.
Les flots couverts de morts interrompent leur course[2],
Et le fleuve sanglant remonte vers sa source.
Mayenne, en ce tumulte, incapable d’effroi,
Affligé, mais tranquille, et maître encor de soi,
Voit d’un œil assuré sa fortune cruelle,
Et, tombant sous ses coups, songe à triompher d’elle.
D’Aumale auprès de lui, la fureur dans les yeux,
Accusait les Flamands, la fortune et les cieux.
« Tout est perdu, dit-il ; mourons, brave Mayenne :
Quittez, lui dit son chef, une fureur si vaine ;

  1. Dans l'édition de 1723, Voltaire tuait vite Egmont, et c'était Mayenne qu'il mettait longtemps aux prises avec Henri ; à la fin, Mayenne s'enfuyait. (G. A.)

    — Ce vers est une imitation de Virgile (Æn., XII, 952) :
    Vitaque cum gemitu fugit indignata sub umbras ;

    et de Racine (Frères ennemis, acte V, scène iii) :
    Et son âme eu courroux s'enfuit dans les enfers.
  2. J.-B. Rousseau, dans sa cantate VII, a dit:
    Les astres de la nuit interrompent leur course;
    Les fleuves étonnés remontent vers leur source.