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Le fantôme, à ces mots, fait briller une épée
Qu’aux infernales eaux la haine avait trempée ;
Dans la main de Clément il met ce don fatal ;
Il fuit, et se replonge au séjour infernal.
Trop aisément trompé, le jeune solitaire
Des intérêts des cieux se crut dépositaire.
Il baise avec respect ce funeste présent ;
Il implore à genoux le bras du Tout-Puissant ;
Et, plein du monstre affreux dont la fureur le guide,
D’un air sanctifié s’apprête au parricide.
Combien le cœur de l’homme est soumis à l’erreur !
Clément goûtait alors un paisible bonheur :
Il était animé de cette confiance
Qui dans le cœur des saints affermit l’innocence :
Sa tranquille fureur marche les yeux baissés[1] ;
Ses sacrilèges vœux[2] au ciel sont adressés ;

  1. J.-B. Rousseau a dit (Allégories, I, 128) :
    Sa vanité marche les yeux baissés.
  2. L'on imprima et l'on débita publiquement une relation du martyre de frère Jacques Clément, dans laquelle on assurait qu'un ange lui avait apparu, et lui avait ordonné de tuer le tyran, en lui montrant une épée nue. Il est resté depuis un soupçon dans le public que quelques confrères de Jacques Clément, abusant de la faiblesse de ce misérable, lui avaient eux-mêmes parlé pendant la nuit, et avaient aisément troublé sa tète, échauffée par le jeûne et par la superstition. Quoi qu'il en soit, Clément se prépara au parricide comme un bon chrétien ferait au martyre, par les mortifications et par la prière. On ne put douter qu'il n'y eût de la bonne foi dans son crime; c'est pourquoi on a pris le parti de le représenter plutôt comme un esprit faible, séduit par sa simplicité, que comme un scélérat déterminé par son mauvais penchant.

    Jacques Clément sortit de Paris le dernier juillet 1589, et fut mené à Saint-Cloud par La Guesle, procureur général. Celui-ci, qui soupçonnait un mauvais
    coup de la part de ce moine, l'envoya épier pendant la nuit dans l'endroit où il était retiré. On le trouva dans un profond sommeil; son bréviaire était auprès de lui, ouvert et tout gras, au chapitre du meurtre d'Holopherne par Judith. On a eu soin, dans le poëme, de présenter l'exemple de Judith à Jacques Clément, à l'imitation dos prédicateurs de la Ligue, qui se servaient de l'Écriture sainte pour prêcher le parricide. (Note de Voltaire, 1723.)

    — Nous citerons ici un passage d'un livre fait par un jacobin, et imprimé à Troyes, chez M. Moreau, peu de temps après la mort de Henri III :

    « De façon que Dieu, exauçant la prière de cestui serviteur, nommé frère Jacques Clément, une nuit, comme il étoit en son lit, lui envoie son ange en
    vision, lequel avec grande lumière se présente à ce religieux, et lui montre un glaive nu, lui dit ces mots : « Frère Jacques, je suis messager du Dieu tout-puissant, qui te viens acertener que par toi le tyran de France doit être mis à mort.