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Prosterné chaque jour au pied des saints autels,
Il fatiguait les cieux de ses vœux criminels[1].
On dit que, tout souillé de cendre et de poussière,
Un jour il prononça cette horrible prière :
« Dieu qui venges l’Église et punis les tyrans,
Te verra-t-on sans cesse accabler tes enfants,
Et, d’un roi qui te brave armant les mains impures,
Favoriser le meurtre et bénir les parjures ?
Grand Dieu ! par tes fléaux c’est trop nous éprouver ;
Contre tes ennemis daigne enfin t’élever ;
Détourne loin de nous la mort et la misère ;
Délivre-nous d’un roi donné dans ta colère :
Viens, des cieux outragés abaisse la hauteur[2] ;
Fais marcher devant toi l’ange exterminateur ;
Viens, descends, arme-toi que ta foudre enflammée
Frappe, écrase à nos yeux leur sacrilège armée ;
Que les chefs, les soldats, les deux rois expirants,
Tombent comme la feuille éparse au gré des vents,
Et que, sauvés par toi, nos ligueurs catholiques
Sur leurs corps tout sanglants t’adressent leurs cantiques. »
La Discorde attentive, en traversant les airs,
Entend ces cris affreux, et les porte aux enfers.
Elle amène à l’instant, de ces royaumes sombres,
Le plus cruel tyran de l’empire des ombres.
Il vient, le Fanatisme est son horrible nom :
Enfant dénaturé de la Religion,
Armé pour la défendre, il cherche à la détruire,
Et, reçu dans son sein, l’embrasse, et le déchire.
C’est lui qui, dans Raba, sur les bords de l’Arnon[3],
Guidait les descendants du malheureux Ammon,

  1. La Fontaine a dit, livre VIII, fable 5 :
    Par des vœux importuns nous fatiguons les dieux.
  2. J.-B. Rousseau a dit, livre Ier, ode viii :
    Abaisse la hauteur des cieux
    Et viens sur leur voûte enflammée.
    D'une main de foudres armée,
    Frapper ces monts audacieux.

    Mais ces idées sont prises du psaume 143.
  3. Pays des Ammonites, qui jetaient leurs enfants dans les flammes, au son des tambours et des trompettes, en l'honneur de la Divinité, qu'ils adoraient sous le nom de Moloch. (Note de Voltaire, 1730.)