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Potier, cet homme juste, et vous, jeune Longueil,
Vous en qui, pour hâter vos belles destinées,
L’esprit et la vertu devançaient les années.
Tout le sénat enfin, par les Seize enchaîné,
À travers un vil peuple en triomphe est mené
Dans cet affreux château[1], palais de la vengeance,
Qui renferme souvent le crime et l’innocence[2].
Ainsi ces factieux ont changé tout l’État ;
La Sorbonne est tombée, il n’est plus de sénat…
Mais pourquoi ce concours et ces cris lamentables ?
Pourquoi ces instruments de la mort des coupables ?
Qui sont ces magistrats que la main d’un bourreau,
Par l’ordre des tyrans, précipite au tombeau ?
Les vertus dans Paris ont le destin des crimes.
Brisson, Larcher, Tardif[3], honorables victimes,

    bres du parlement, car il n'était pas venu ce jour-là à la grand'chambre; mais il fut depuis emprisonné au Louvre, dans le temps de la mort de Brisson. On voulut lui faire le même traitement qu'à ce président. On l'accusait d'avoir une correspondance secrète avec Henri IV. Les Seize lui firent son procès dans les formes, afin de mettre de leur coté les apparences de la justice, et de ne plus effaroucher le peuple par des exécutions précipitées, que l'on regardait comme des assassinats. Enfin, comme Blancménil allait être condamné à être pendu, le duc de Mayenne revint à Paris. Ce prince avait toujours eu pour Blancménil une vénération qu'on ne pouvait réfuser à sa vertu; il alla lui-même le tirer de prison. Le prisonnier se jeta à ses pieds, et lui dit : « Monseigneur, je vous ai obligation de la vie; mais j'ose vous demander un plus grand bienfait, c'est de me permettre de me retirer auprès de Henri IV, mon légitime roi : je vous reconnaîtrai toute ma vie pour mon bienfaiteur; mais je ne puis vous servir comme mon maître. » Le duc de Mayenne, touché de ce discours, le releva, l'embrassa, et le renvoya à Henri IV. Le récit de cette aventure, avec l'interrogatoire de Blancménil, sont encore dans les papiers de M. le président de Novion d'aujourd'hui. Bussi-Le-Clerc avait été d'abord maître en fait d'armes, et ensuite procureur. Quand le hasard et le malheur des temps l'eut mis en quelque crédit, il prit le surnom de Bussi, comme s'il eut été aussi redoutable que le fameux Bussi d'Amboise. Il se faisait aussi nommer Bussi Grande-Puissance. (Note de Voltaire, 1723 et 1730.) — Dans l'édition de 1723, l'alinéa qui concerne Bussi-Le-Clerc est terminé par ces mots : « On l'appela le grand-pénitencier du parlement, parce qu'il faisait jeûner à la Bastille les magistrats qu'il y avait enfermés. » Cela fut, en 1730, reporté dans la note précédente. Au reste, Bussi ne se faisait pas nommer Grande-Puissance ; c'est une inadvertance de Voltaire, relevée par Leduchat (Ducatiana, I, 14), qui rapporte le texte de L'Estoile, que voici : « Mais par-dessus tous les autres brigands avoit ce M. Bussi-Le-Clerc (car ainsi se faisoit-il appeler) la grande puissance. » (B.)

  1. La Bastille. (Note de Voltaire, 1723.)
  2. Vers souvent cités aussi lors de la prise de la Bastille (G. A.)
  3. En 1591, un vendredi 15 novembre, Barnabé Brisson, homme très-savant, et qui faisait les fonctions de premier président, en l'absence d'Achille de Harlay; Claude Larcher, conseiller aux enquêtes, et Jean Tardif, conseiller au Châtelet,