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« D’un éclat différent mon camp frappait leur vue :
Mon armée, en silence à leurs yeux étendue,
N’offrait de tous côtés que farouches soldats,
Endurcis aux travaux, vieillis dans les combats,
Accoutumés au sang, et couverts de blessures :
Leur fer et leurs mousquets composaient leurs parures.
Comme eux vêtu sans pompe, armé de fer comme eux,
Je conduisais aux coups leurs escadrons poudreux ;
Comme eux, de mille morts affrontant la tempête,
Je n’étais distingué qu’en marchant à leur tête.
Je vis nos ennemis vaincus et renversés,
Sous nos coups expirants, devant nous dispersés :
À regret dans leur sein j’enfonçais cette épée,
Qui du sang espagnol eût été mieux trempée[1].
« Il le faut avouer, parmi ces courtisans
Que moissonna le fer en la fleur de leurs ans,
Aucun ne fut percé que de coups honorables :
Tous fermes dans leur poste, et tous inébranlables,
Ils voyaient devant eux avancer le trépas,
Sans détourner les yeux, sans reculer d’un pas.
Des courtisans français tel est le caractère[2] :
La paix n’amollit point leur valeur ordinaire ;
De l’ombre du repos ils volent aux hasards ;
Vils flatteurs à la cour, héros aux champs de Mars[3]
« Pour moi, dans les horreurs d’une mêlée affreuse,
J’ordonnais, mais en vain, qu’on épargnât Joyeuse :
Je l’aperçus bientôt porté par des soldats,
Pâle, et déjà couvert des ombres du trépas.

  1. Horace a dit, livre I, ode ii, vers 21-22 :
    Audiet cives acuisse ferrum,
    Quo graves Persæ melius périrent ;

    Et Corneille (dans le Cid, acte III, scène vi) :
    Leurs vaillantes mains
    Se tremperont bien mieux au sang des Africains.
  2. Ce vers rappelle celui de Zaïre (acte II, scène iii) :
    Des chevaliers français tel est le caractère.
  3. Boileau a dit (Lutrin, chant IV, vers 10) :
    Valet souple au logis, fier huissier à l'église.