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Ces dieux, dont vous savez interpreter la loi,
Aidés de Scipion, sont trop forts contre moi.
Je sais que mon épouse à Rome fut promise ;
Voulez-vous en effet qu’à Rome on la conduise ?

SCIPION.

Je le veux, puisque ainsi le sénat l’a voulu,
Que vous-même avec moi vous l’aviez résolu.
Ne vous figurez pas qu’un appareil frivole,
Une marche pompeuse aux murs du Capitole,
Et d’un peuple inconstant la faveur et l’amour
Que le destin nous donne et nous ôte en un jour,
Soient un charme si grand pour mon âme éblouie:
De soins plus importants croyez qu’elle est remplie :
Mais quand Rome a parlé, j’obéis à sa loi.
Secondez mon devoir, et revenez à moi ;
Rendez à votre ami la première tendresse
Dont le nœud respectable unit notre jeunesse ;
Compagnons dans la guerre, et rivaux en vertu,
Sous les mêmes drapeaux nous avons combattu :
Nous rougirions tous deux qu’au sein de la victoire
Lue femme, une esclave, eût flétri tant de gloire;
Réunissons deux cœurs qu’elle avait divisés :
Oubliez vos liens ; l’honneur les a brisés[1].

MASSINISSE.

L’honneur ! Quoi, vous osez !… Mais je ne puis prétendre.
Quand je suis désarmé, que vous vouliez m’entendre.
Je vous ai déjà dit que vous seriez content ;
Ma femme subira le destin qui l’attend.
Un roi doit obéir quand un consul ordonne,
Sophonisbe ! oui, seigneur, enfin je l’abandonne[2] :
Je ne veux que la voir pour la dernière fois ;
Après cet entretien, j’attends ici vos lois.

SCIPION,

N’attendez qu’un ami, si vous êtes fidèle.

  1. On trouva bien conçu ce caractère de Scipion, qui n’est pas un de ces Romains ampoulés dont avait abusé Corneille. (G. A.)
  2. Grimm raconte qu’à la première représentation le public, bonhomme et crédule, ayant pris cette résolution à la lettre, hua le pauvre Massinisse. Et pourtant le silence, l'air, le jeu de Lekain étaient bien significatifs en ce moment. (G. A.)