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J’écris à Massinisse en cette conjoncture,
Je rappelle à son cœur les droits de la nature,
Les nœuds trop oubliés du sang qui nous unit :
Seigneur, si vous l’osez, condamnez cet écrit.

(Elle lit.)

« Vous êtes de mon sang ; je vous fus longtemps chère,
Et vous persécutez vos parents malheureux.
Soyez digne de vous ; le brave est généreux :
Reprenez votre gloire et votre caractère… »

(Syphax lui arrache la lettre.)

Eh bien ! ai-je trahi mon peuple et mon époux ?
Est-il temps d’écouter des sentiments jaloux ?
Répondez : quel reproche avez-vous à me faire ?
La fortune, en tout temps à tous deux trop sévère,
À mis, pour mon malheur, ma lettre en votre main.
Quel en était le but ? quel était mon dessein ?
Pouvez-vous l’ignorer ? et faut-il vous l’apprendre ?
Si la ville aujourd’hui n’est pas réduite en cendre,
S’il est quelque ressource à nos calamités,
Sur ces murs tout sanglants je marche à vos côtés.
Aux yeux de Scipion, de Massinisse même,
Ma main joint des lauriers à votre diadème :
Elle combat pour vous, et sur ce mur fatal
Elle arbore avec vous l’étendard d’Annibal :
Mais si jusqu’à la fin le ciel vous abandonne,
Si vous êtes vaincu, je veux qu’on vous pardonne.

SYPHAX.

Qu’on me pardonne ! à moi ! De ce dernier affront
Votre indigne pitié voulait couvrir mon front !
Et, portant à ce point votre insultante audace,
C’est donc pour votre roi que vous demandez grâce ?
Allez, peut-être un jour vos funestes appas
L’imploreront pour vous, et ne l’obtiendront pas.
Massinisse, en tout temps mon fatal adversaire,
Et mon rival en tout, se flatta de vous plaire :
Il m’osa disputer mon trône et votre cœur :
C’est trahir notre hymen, votre foi, mon honneur,
Que de vous souvenir de son feu téméraire.
Vos soins injurieux redoublent ma colère ;
Et ce fatal aveu, dont je me sens confus,
À mes yeux indignés n’est qu’un crime de plus.