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446 JULIiS CKSAR.

L’enleva sur son dos dans les débris de Troie,

J’arrachai ce César aux vagues en fureur :

Et maintenant cet homme est un dieu parmi nous !

11 tonne, et Cassius doit se courber à terre

Quand ce dieu par hasard daigne le regarder !

Je me souviens encor qu’il fut pris en Espagne^

D’un grand accès de lièvre, et que, dans le frisson.

Je crois le voir encore, il tremblait comme un homme :

Je vis ce dieu trembler, La couleur des rubis

S’enfuyait tristement de ses lèvres poltronnes.

Ces yeux, dont un regard fait fléchir les mortels,

Ces yeux étaient éteints : j’entendis ces soupirs,

Et cette même voix qui commande à la terre.

Cette terrible voix, remarque bien, Brutus,

Remarque, et que ces mots soient écrits dans tes livres,

Cette voix qui tremblait, disait : « Titinius,

Titinius-, à boire ! » Une fille, un enfant,

N’eût pas été plus faible : et c’est donc ce même homme,

C’est ce corps faible et mou qui commande aux Romains !

Lui, notre maître ! ô dieux !

BliUTUS.

J’entends un nouveau bruit. J’entends des cris de joie. Ah ! Rome trop séduite Surcharge encor César et de biens et d’honneurs.

CASSIUS.

Quel homme ! quel prodige ! il enjambe ce monde Comme un vaste colosse ; et nous, petits humains, Rampants entre ses pieds, nous sortons notre tête Pour chercher, en tremblant, des tombeaux sans honneur. Ah ! l’homme est quelquefois le maître de son sort ; La faute est dans son cœur, et non dans les étoiles ; Qu’il s’en prenne à lui seul s’il rampe dans les fers. César ! Brutus ! en bien ! quel est donc ce César ? Son nom sonne-t-il mieux que le mien ou le vôtre ? Écrivez votre nom ; sans doute il vaut le sien : Prononcez-les ; tous deux sont égaux dans la houche :

1. Tous ces contes que fait Cassius ressemblent à un discours de Gilles à la foire. Cela est naturel ; oui : mais c’est le naturel d’un homme de la populace qui s’entretient avec son compère dans un cabaret. Ce n’est pas ainsi que parlaient les plus grands hommes de lu république romaine. {Note de Voltaire.)

2. L’acteur autrefois prenait en cet endroit le ton d’un homme qui a la fièvre, et qui parle d’une voix grêle. {Note de Voltaire.)