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ACTE I, SCÈNE III.

Je n’embrasse personne afin de le trahir :

Mon cœur est tout ouvert, et Brutus y peut lire.

(On entend des acclamations ut le son des trompettes.) BRL’TUS.

Que peuvent annoncer ces trompettes, ces cris ? Le peuple voudrait-il choisir César pour roi ?

CASSIUS.

Tu ne voudrais donc pas voir César sur le trône ?

BRUTUS.

Non, ami, non, jamais, quoique j’aime César. Alais pourquoi si longtemps me tenir incertain ? Que ne t’expliques-tu ? Que voulais-tu me dire ? D’où viennent tes chagrins dont tu cachais la cause ? Si l’amour de l’État les fait naître en ton sein. Parle, ouvre-moi ton cœur, montre-moi sans frémir La gloire dans un œil, et le trépas dans l’autre. Je regarde la gloire, et brave le trépas ; Car le ciel m’est témoin que ce cœur tout romain Aima toujours l’honneur plus qu’il n’aima le jour.

CASSIUS.

Je n’en doutai jamais ; je connais ta vertu,

Ainsi que je connais ton amitié fidèle.

Oui, c’est l’honneur, ami, qui fait tous mes chagrins,

J’ignore de quel œil tu regardes la vie ;

Je n’examine point ce que le peuple en pense.

Mais pour moi, cher ami, j’aime mieux n’être pas

Que d’être sous les lois d’un mortel mon égal,

Nous sommes nés tous deux libres comme César :

Bien nourris comme lui, comme lui nous savons

Supporter la fatigue, et braver les hivers.

Je me souviens qu’un jour, au milieu d’un orage.

Quand le Tibre en courroux luttait contre ses bords :

« Veux-tu, me dit César, te jeter dans le fleuve ?

Oseras-tu nager, malgré tout son courroux ? »

Il dit ; et dans l’instant, sans ôter mes habits.

Je plonge, et je lui dis : « César, ose me suivre. »

Il me suit en effet, et de nos bras nerveux

Nous combattons les flots, nous repoussons les ondes.

Bientôt j’entends César qui me crie : « Au secours !

Au secours ! ou j’enfonce ; » et moi, dans le moment.

Seml)lable à notre aïeul, à notre auguste Énée,

Qui, dérobant Anchise aux flammes dévorantes,