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Dispose des États, fait l’esclave et le maître :
Nul homme au rang des rois n’est jamais parvenu
Sans un talent sublime, et sans quelque vertu.
Soyons justes, ami ; j’aimai ma république ;
Mais j’ai su me plier au pouvoir monarchique.
Né sujet comme nous, dans la foule jeté,
Agathocle a vaincu la dure adversité ;
L’adresse, le courage, et surtout la fortune,
L’ont porté dans ce rang dont l’éclat l’importune :
Élevé par degrés au timon de l’État,
Il était déjà roi lorsque j’étais soldat.
De ces coups du destin je sais que l’on murmure ;
Les grands succès d’autrui sont pour nous une injure :
Mais si le même prix nous était présenté,
Ne dissimulons point, serait-il rejeté ?

YDASAN.

Il l’eût été par moi : j’aime mieux, cher Égeste,
Ma triste pauvreté que sa grandeur funeste.
N’excuse plus ton maître, et laisse à ma douleur
La consolation de haïr son bonheur.
Quoi donc ! je l’aurai vu, citoyen mercenaire,
Du travail de ses mains nourrissant sa misère ;
Et la guerre civile aura, dans ses horreurs,
Mis ce fils de la terre au faîte des grandeurs[1] !
Il règne à Syracuse ! et moi, pour mon partage,
Banni de mon pays, et soldat à Carthage,
Blanchi dans les dangers ; courbé sous le harnois,
Obscurément chargé d’inutiles exploits,
J’ai vu périr deux fils dans cette guerre inique
Qui désola longtemps la Sicile et l’Afrique.
Après tant de travaux, après tant de revers,
Ma fille me restait ; ma fille est dans les fers !
La malheureuse Ydace est au rang des captives
Que l’Aréthuse encor voit pleurer sur ses rives !
C’est ce qui me ramène à ces funestes lieux,
Aux lieux de ma naissance en horreur à mes yeux :
Sans soutien, sans patrie, appauvri par la guerre,
Privé de mes deux fils, je n’ai rien sur la terre
Qu’un débris de fortune à peine ramassé

  1. On lit dans Horace, liv. II, sat iv :
    Risetit in solio fortunæ filius omnes.