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A L’ACADK.MIK FRANÇAISE. 329

littérature dont ils étaient idolâtres en secret. Ce peintre charmant de la vertu, cet aimable Fénoloii, votre autre confrère, tant persécuté pour des disputes aujoiird’liiii méprisées, et si cher à la postérité par ses persécutions mêmes, forma sa prose élégante sur la poésie de Racine, ne pouvant Timiter en vers ; car les vers sont une langue qu’il est donné à très-peu d’esprits de posséder ; et quand les plus éloquents et les plus savants hommes, les sublimes Bossuef, les touchants Fénelon, les érudits Huet, ont voulu faire des vers français, ils sont tombés de la hauteur où les plaçait leur génie ou leur science dans cette triste classe qui est au-dessous de la médiocrité.

iMais les ouvrages de prose dans lesquels on a le mieux imité le style de Racine sont ce que nous avons de meilleur dans notre langue. Point de vrai succès aujourd’hui sans cette correction, sans cette pureté qui seule met le génie dans tout son jour, et sans laquelle ce génie ne déploierait qu’une force monstrueuse, tombant à chaque pas dans une faiblesse plus monstrueuse encore, et du haut des nues dans la fange.

Vous entretenez le feu sacré, messieurs ; c’est par vos soins que, depuis quelques années, les compositions pour les prix décernés par vous sont enfin devenues de véritables pièces d’éloquence. Le goût de la saine littérature s’est tellement déployé qu’on a vu quelquefois trois ou quatre ouvrages suspendre vos jugements, et partager vos suffrages ainsi que ceux du public.

Je sens combien il est peu convenable, à mon âge de quatre vingt-quatre ans, d’oser arrêter un moment vos regards sur un des fruits dégénérés de ma vieillesse. La tragédie dlrènc ne peut être digne de vous ni du théâtre français ; elle n’a d’autre mérite que la fidélité aux règles données aux Grecs par le digne précepteur d’Alexandre, et adoptées chez les Français par le génie de Corneille, le père de notre théâtre.

À ce grand nom de Corneille, messieurs, permettez que je joigne ma faible voix à vos décisions souveraines sur l’éclat éternel qu’il sut donner à cette langue française peu connue avant lui, et devenue après lui la langue de l’Europe.

Vous éclairâtes mes doutes, et vous confirmâtes mon opinion il y a deux ans, en voulant bien lire dans une de vos assemblées publiques la lettre que j’avais eu l’honneur de vous écrire sur Corneille et sur Shakespeare. Je rougis de joindre ensemble ces deux noms ; mais j’apprends qu’on renouvelle au milieu de Paris cette incroyable dispute. On s’appuie de l’opinion de M"’" Mon-