Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome7.djvu/337

Cette page n’a pas encore été corrigée

A L’ACADl-MIK FRANÇAISE. 327

Voilà ce (jiii csl arrivr toujours au soûl Racine, depuis Amlromaque juscjuau chef-d’œuvre (VAlhalic^.

J’ai remar([ué ailleurs que, dans les livres de toute espèce,

1. Le p. Bnimoy, dans son Discours sur le parallèle des théâtres, a dit do nos spectateurs : « Ce n’est que le sang-froid qui applaudit la beauté des vers. » Si ce savant avait connu notre public, il aurait vu que tantôt il applaudit do sang-froid dos maximes vraies ou fausses, tantôt il applaudit avoc transport dos tirades de déclamation, soit i)leincs de beautés, soit pleines de ridicules, n’importe ; et qu’il est toujours insensil)le îi des vers qui ne sont que bien faits et raisonnables.

Je demandai un jour à un homme qui avait fréquente assidûment cette cave obscure appelée-parterre, comment il avait pu applaudir à ces vers si étranges et si déplacés [Mort de Pompée, 111, vj :

César, ’car le destin, que dans (es fors jo bravo, Me fuit ta prisonnière, et non pas ton esclave ; Et tu ne prétonds pas qu’il m’abatte le cœur Jusqu’à te rendre hommage, et te nommer seigneur…

Comme si le mot soigneur était sur notre théâtre autre chose qu’un ternie de politesse, et comme si la jeune Cornélic avait pu s’avilir en parlant décemment à César ! Pourquoi, lui dis-jo, avez-vous tant battu des mains à ces étonnantes paroles [Mort de Pompée, IV, iv ] :

Rome le veut ainsi : son adorable front

Aurait de quoi rougir d’un trop honteux affront.

De voir en mémo jour, après tant de conquêtes,

Sous un indigne for ses deux plus noblos tètes.

Son grand cœur, qu’à tes lois on vain tu crois soumis,

En veut au criminel plus qu’à ses ennemis.

Et tiendrait à malheur le bien de se voir libre,

Si l’attentat du Nil affranchissait le Tibre.

Coninio autre qu’un Romain n’a pu l’assujettir.

Autre aussi qu’un Romain ne l’en doit garantir.

Tu tomberais ici sans être sa victime :

Au lieu d’un châtiment, ta mort serait un crime ;

Et, sans que tes pareils on conçussent d’effroi,

L’exemple que tu dois périrait avec toi.

Venge-la de l’Égypte à son appui fatale.

Et je la vengerai, si je puis, de Pharsalo.

Va ; ne perds point le temps, il presse. Adieu ; tu peux

Te vanter qu’une fois j’ai fait pour toi des vœux.

Vous sentez bien aujourd’hui qu’il n’est guère convenable qu’une jeune femme, absolument dépendante de César, protégée, secourue, vengée par lui, et qui doit être à ses pieds, le menace en antithèses si recherchées, et dans un stylo si obscur, de le faire rondamnor à la mort pour servir d’exemple, et finisse enfin par lui dire : « Adieu, César, tu peux te vanter que j’ai fait pour toi des vœux une fois on ma vie. » Avez-vous pu seulement entendre ce froid raisonnement, aussi faux qu’alambiqué : « Comme autre qu’un P »omain n’a pu asservir Rome, autre qu’un Romain ne l’en peut garantir ? »

11 n’y a point d’homme un peu accoutumé aux affaires de ce monde qui ne sente combien de tels vers sont contraires à toutes les bienséances, à la nature, à la raison, et même aux règles de la poésie, qui veulent que tout soit clair, et que rien ne soit forcé dans l’expression.

Dites-moi donc par quel prestige vous avez applaudi sans cesse des tirades aussi embrouillées, aussi obscures, aussi déplacées ? Mais dites-moi surtout pourquoi vous n’avez jamais marque par la moindre acclamation votre juste contente-