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dront bien m’on donner. La vioillosso passe pour incorrigible ; et moi, messieurs, je crois qu’on doit penser à se corriger à cent ans. On ne peut se donner du génie k aucun âge, mais on peut réi)arer ses fautes à tout Age. Peut-être cette mcMbode est la seule qui puisse préserver la langue française de la corruption qui semble, dit-on, la menacer.

Racine, celui de nos poètes qui approcha le plus de la perfection, ne donna jamais au public aucun ouvrage sans avoir écouté les conseils de Boileau et de Patru : aussi c’est ce véritablement grand hommequi nous enseigna par son exemple l’art difficile de s’exprinu’r toujours naturellement, malgré la gène prodigieuse de la rime ; de faire parler le cœur avec esprit sans la moindre ombre d’affectation ; d’employer toujours le mot propre, souvent inconnu au public étonné de l’entendre. Invenit verba quibus debèrent loqui, dit si bien Pétrone ’ : « il inventa l’art de s’exprimer. »

Il mit dans la poésie dramatique cette élégance, cette harmonie continue qui nous manquait absolument, ce charme secret et inexprimable, égal à celui du quatrième livre de Virgile, cette douceur enchanteresse qui fait que, quand vous lisez au hasard (\\\ ou douze vers d’une de ses pièces, un attrait irrésistible vous force de lire tout le reste.

C’est lui qui a proscrit chez tous les gens de goût, et malheureusement chez eux seuls, ces idées gigantesques et vides de sens, ces apostrophes continuelles aux dieux, quand on ne sait pas faire parler les hommes ; ces lieux communs d’une politique ridiculement atroce, débités dans un style sauvage ; ces épithètes fausses et inutiles ; ces idées obscures, plus obscurément rendues ; ce style aussi dur que négligé, incorrect et barbare ; enfin tout ce que j’ai vu applaudi par un parterre composé alors de jeunes gens dont le goût n’était pas encore formé.

Je ne parle pas de l’artifice imperceptible des poèmes de Racine, de son grand art de conduire une tragédie, de renouer l’intérêt par des moyens délicats, de tirer un acte entier d’un seul sentiment ; je ne parle que de l’art d’écrire. C’est sur cet art si nécessaire, si facile aux yeux de l’ignorance, si difficile au génie même, que le législateur Boileau a donné ce précepte* :

Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir,

De son ouvrage en vous laisse un long souvenir.

1. C’est de Soi)lioclc et d’Euripide que Pétrone, dans son chap. ii, a dit Invenerunt verba quibus debèrent loqui. (B.) 2. Art poét., III, 155 -50.