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DISCOURS niSTORIOUE HT CIUTIOIE. 233

ot oppresseur de sa nation, ot qui plongea tout TÉtat dans la subversion la plus horrible dont on ait conservé la mémoire ? Tous ces surnoms, ou plutôt tous ces sobriquets, que les historiens ré- pètent sans y attacher de sens, ne viennent-ils pas de la même cause qui fait qu’un marguillier qui ne sait pas lire répète les noms d’Albert le Grand, de Grégoire Thaumaturge, de Julien l’Apostat, sans savoir ce que ces noms signifient ? Telle ville fut appelée la sainte, ou ]n superbe, dans laquelle il n’y eut ni sainteté ni grandeur ; tel vaisseau fut nommé le Foudroyant, l’Invincible^ qui fut pris en sortant du port.

L’histoire n’ayant donc été trop souvent que le récit des fables et des préjugés, quand on entreprend une tragédie tirée de l’histoire, que fait-on ? L’auteur choisit la fable ou le préjugé qui lui plaît davantage. Celui-ci, dans sa pièce, pourra regarder Scévola comme le respectable vengeur de la liberté publique, comme un héros qui punit sa main de s’être méprise en tuant un autre que le fatal ennemi de Rome ; celui-là pourra ne se représenter Scé- vola que comme un vil espion, un assassin fanatique, un Poltrot, un Balthazar Gérard, un Jacques Clément. Des critiques penseront qu’il n’y a point eu de Scévola, et que c’est une fable, ainsi (jue toutes les histoires des premiers temps de tout peuple sont des fables ; et ces critiques pourront bien avoir raison. Tel Espagnol ne verra dans François F"" qu’un capitaine très-courageux et très-imprudent, mauvais politique, et manquant à sa parole ; un professeur du Collège royal’le mettra dans le ciel, pour avoir protégé les lettres ; un luthérien d’Allemagne le plongera en enfer, pour avoir fait brûler des luthériens dans Paris, tandis qu’il les soudoyait dans l’Empire ; et si les ex-jésuites font encore des pièces de théâtre, ils ne manqueront pas de dire avec Daniel « qu’il aurait fait aussi brûler le dauphin, si ce dauphin n’avait pas cru aux indulgences ; tant ce grand roi avait de piété ! »

Nous avons une tragi-comédie espagnole, où Pierre, que nous appelons le Cruel, n’est jamais appelé que le Justicier, titre que lui donna toujours Philippe II. J’ai connu un jeune homme qui avait fait une tragédie d’Adonias et de Salomon. Il y représentait Salomon comme le plus barbare et le plus lâche de tous les parricides ou fratricides, « Savez-vous bien, lui dit-on, que leSeigneurdans un songe lui donna la sagesse ? — Cela peut-être, dit-il ; mais il ne lui donna pas l’humanité à son réveil. »

Il y a des déclamations de collège, sous le nom d’histoires ou

1. Ce collège a été fondé par F.-ançois Ier",