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'232 DISCOURS mSTORinUK ET CRITIQUE.

Ceux (lui iiKMitoiit ainsi au j^curc liumain sont encore animés souvent par la sottise de la rivalité nationale. Il n’y a guère d’historien anglais qui ait manqué l’occasion de faire la satire des Français, et quelquefois avec un peu de grossièreté. Velli et \illaret dénigrent les Anglais autant qu’ils le peuvent. Mézerai n’épargna jamais les Espagnols. Un Tite-Live ne pouvait connaître cette partialité ; il vivait dans un temps où sa nation existait seule dans le monde connu, liomanos renim dominos^ ; toutes les autres étaient à ses pieds. Mais aujourd’hui que notre Europe est partagée entre tant de dominations qui se balancent toutes ; aujourd’hui que tant de peuples ont leurs grands hommes en tout genre, quiconque Acut trop flatter son pays court risque de déplaire aux autres, si par hasard il en est lu, et doit peu s’attendre à la reconnaissance du sien. On n’a jamais tant aimé la vérité que dans ce temps-ci : il ne reste plus qu’à la trouver.

Dans les querelles qui se sont élevées si souvent entre toutes les cours de l’Europe, il est bien difficile de découvrir de quel côté est le droit ; et, quand on Ta reconnu, il est dangereux de le dire. La critique, qui aurait dû, depuis près d’un siècle, détruire les préjugés sous lesquels l’histoire est défigurée, a servi plus d’une fois à substituer de nouvelles erreurs aux anciennes. On a tant fait que tout est devenu problématique, depuis la loi salique jusqu’au système de Law : et à force de creuser, nous ne savons plus où nous en sommes.

Nous ne connaissons pas seulement l’époque de la création des sept électeurs en Allemagne, du parlement en Angleterre, de la pairie en France. Il n’y a pas une seule maison souveraine dont on puisse fixer l’origine. C’est dans l’histoire que le chaos est le commencement de tout. Qui pourra remonter à la source de nos usages et de nos opinions ])Oi)ulaires ?

Pourquoi donna-t-on le surnom de bon à ce roi Jean qui commença son règne par faire mourir en sa présence son connétable sans forme de procès, qui assassina quatre principaux chevaliers dans Rouen ; qui fut vaincu par sa faute ; qui céda la moitié de la France, et ruina l’autre ?

Pourquoi donna-t-on à ce don Pèdre, roi légitime de Castille, le nom de cruel, qu’il fallait donner au bâtard Henri de Transtaiuare, assassin de don Pèdre, et usurpateur ?

Pourquoi appelle-t-on encore bioi-aimi ce malheureux Charles VI, qui déshérita son fils en faveur d’un étranger ennemi

1. Virgile, .En., I, 286.