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Par notre pitié seule au glaive dérobés,
Esclave pour esclave ; et quittons la contrée
Où notre pauvreté, qui dut être honorée,
N’est, aux yeux des crétois, qu’un objet de dédain ;
Ils descendaient vers nous par un accueil hautain.
Leurs bontés m’indignaient. Regagnons nos asiles,
Fuyons leurs dieux, leurs mœurs, et leurs bruyantes villes.
Ils sont cruels et vains, polis et sans pitié.
La nature entre nous mit trop d’inimitié.

Datame.

Ah ! Surtout de leurs mains reprenons Astérie.
Pourriez-vous reparaître aux yeux de la patrie
Sans lui rendre aujourd’hui son plus bel ornement ?
Son père est attendu de moment en moment :
En vain je la demande aux peuples de la Crète ;
Aucun n’a satisfait ma douleur inquiète,
Aucun n’a mis le calme en mon cœur éperdu ;
Par des pleurs qu’il cachait un seul m’a répondu.
Que veulent, cher ami, ce silence et ces larmes ?
Je voulais à Teucer apporter mes alarmes ;
Mais on m’a fait sentir que, grâces à leurs lois,
Des hommes tels que nous n’approchent point les rois :
Nous sommes leurs égaux dans les champs de Bellone :
Qui peut donc avoir mis entre nous et leur trône
Cet immense intervalle, et ravir aux mortels
Leur dignité première et leurs droits naturels ?
Il ne fallait qu’un mot, la paix était jurée ;
Je voyais Astérie à son époux livrée ;
On payait sa rançon, non du brillant amas
Des métaux précieux que je ne connais pas,
Mais des moissons, des fruits, des trésors véritables,
Qu’arrachent à nos champs nos mains infatigables :
Nous rendions nos captifs ; Astérie avec nous
Revolait à Cydon dans les bras d’un époux.
Faut-il partir sans elle, et venir la reprendre
Dans des ruisseaux de sang et des monceaux de cendre ?