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D’illustres attentats ont fait toute leur gloire.
La Grèce a des héros, mais injustes, cruels,
Insolents dans le crime, et tremblants aux autels.
Ce mélange odieux m’inspire trop de haine.
Je chéris la valeur, mais je la veux humaine.
Ce sceptre est un fardeau trop pesant pour mon bras
S’il le faut soutenir par des assassinats ;
Je suis né trop sensible : et mon âme attendrie
Se soulève aux dangers de la jeune Astérie ;
J’admire son courage, et je plains sa beauté[1].
Ami, je crains les dieux ; mais dans ma piété
Je croirais outrager leur suprême justice,
Si je pouvais offrir un pareil sacrifice.

Dictime.

On dit que de Cydon les belliqueux enfants
Du fond de leurs forêts viendront dans peu de temps
Racheter leurs captifs, et surtout cette fille
Que le sort des combats arrache à sa famille.
On peut traiter encore ; et peut-être qu’un jour
De la paix parmi nous le fortuné retour
Adoucirait nos mœurs, à mes yeux plus atroces
Que ces fiers ennemis qu’on nous peint si féroces.
Nos grecs sont bien trompés : je les crois glorieux
De cultiver les arts, et d’inventer des dieux ;
Cruellement séduits par leur propre imposture,
Ils ont trouvé des arts, et perdu la nature.
Ces durs cydoniens[2] dans leurs antres profonds
Sans autels et sans trône, errants et vagabonds,
Mais libres, mais vaillants, francs, généreux, fidèles,
Peut-être ont mérité d’être un jour nos modèles ;
La nature est leur règle, et nous la corrompons.

Teucer.

Quand leur chef paraîtra nous les écouterons ;
Les archontes et moi, selon nos lois antiques,

  1. Corneille a dit dans le Cid, acte II, scène II :
    J’admire ton courage, et je plains ta jeunesse.
  2. La petite province de Cydon est au nord de l’île de Crète. Elle défendit longtemps sa liberté, et fut enfin assujettie par les Crétois, qui le furent ensuite à leur tour par les Romains, par les empereurs grecs, par les Sarrasins, par les croisés, par les Vénitiens, par les Turcs. Mais par qui les Turcs le seront-ils ? (Note de Voltaire.)